Saint Au­gus­tin. Montre-toi à moi

Bar­to­lome de Car­de­nas (ac­tif de 1468 à 1495)
Saint Au­gus­tin (~1485), Art Ins­ti­tute Chicago 


Dieu est Amour. Si tu connais l’amour, si tu l’aimes, d’où vient que tu aimes ? Tout ce que tu aimes de belle fa­çon, tu l’aimes par l’amour. Mais que veut dire ici : par l’amour ? Voyons, qu’aimes-tu, toi qui aimes l’amour ? Si tu aimes, d’où vient donc que tu aimes ? L’Amour vient à toi : tu le connais et tu le vois. Mais tu ne le vois pas dans un lieu, tu ne le cherches pas des yeux du corps pour l’aimer plus ar­dem­ment. Tu ne l’entends pas te par­ler, et quand il vient à toi, tu ne per­çois pas son ap­proche. N’as-tu ja­mais sen­ti le pied de l’amour se pro­me­nant dans ton cœur ? Qu’est-il donc ? De qui vient ce qui est dé­jà en toi, et que tu ne peux sai­sir ? Ap­prends ain­si à ai­mer Dieu.

Mais, me di­ras-tu, Dieu s’est pro­me­né dans le Pa­ra­dis. On le vit au chêne de Mam­bré. Il a par­lé face à face avec Moïse, sur le mont Si­naï. Qu’en dé­duis-tu ? C’est qu’on le voit dans un lieu, sans per­ce­voir son ap­proche. Veux-tu donc en­tendre Moïse lui-même ? Certes, il par­lait avec Dieu face à face. Ce­pen­dant à qui di­sait-il donc : « Si j’ai trou­vé grâce de­vant toi, montre-toi à moi », si­non à ce­lui avec qui il parlait.

Il parle donc avec Dieu face à face, comme un ami parle à son ami et il lui dit : « Si j’ai trou­vé grâce de­vant toi, montre-toi à moi à dé­cou­vert. » Que voyait-il et que pen­sait-il ? Si ce n’était pas Dieu, pour­quoi lui dit-il : « Montre-toi à moi. » Nous ne pou­vons pas dire que ce n’était pas Dieu. Si ce n’était pas Dieu, il lui au­rait dit : « Montre-moi Dieu. » Puisqu’il lui dit : « Montre-toi à moi », il est donc clair que son in­ter­lo­cu­teur était ce­lui qu’il vou­lait voir. Il s’entretenait aus­si face à face avec lui, comme lorsqu’on parle avec un ami.

Veux-tu donc en­tendre ce qu’il en est ? Com­prends-le, Dieu ap­pa­rais­sait à Moïse, tout en de­meu­rant ca­ché. Car s’il n’était pas ap­pa­ru, Moïse, par­lant avec lui face à face, ne lui au­rait pas dit : « Montre-toi à moi. » Mais s’il n’était pas res­té ca­ché, Moïse n’aurait pas en­core cher­ché à le voir lui-même. Com­prends bien les choses, sois in­tel­li­gent. Dieu peut tout à la fois se ma­ni­fes­ter et de­meu­rer ca­ché, ap­pa­raître sous un cer­tain as­pect, et de­meu­rer ca­ché dans sa na­ture. Dieu est ap­pa­ru à Moïse comme il le ju­geait bon ; il s’est ca­ché se­lon ce qu’il était. La vé­ri­table di­lec­tion ne se voit pas ; l’amour ne se voit point, la ten­dresse ne se voit point. Le gage que nous en avons doit en­flam­mer en nous ce dé­sir dont était en­flam­mé Moïse, lui qui di­sait à ce­lui qu’il voyait : Montre-toi à moi.

Si nous le cher­chons ain­si, nous sommes ses en­fants. « Nous sommes les en­fants de Dieu, dit saint Jean, et ce que nous se­rons n’a pas en­core été ma­ni­fes­té. Nous sa­vons que lors de cette ma­ni­fes­ta­tion, nous lui se­rons sem­blables, parce que nous le ver­rons tel qu’il est. » Non pas tel qu’il est ap­pa­ru au chêne de Mam­bré, ni tel qu’il est ap­pa­ru à Moïse, pour avoir be­soin de lui dire en­core : « Montre-toi à moi », mais « nous le ver­rons tel qu’il est ». À quel titre ? Parce que nous sommes fils de Dieu. Et ce­la, non point par nos mé­rites, mais par sa miséricorde.

Saint Au­gus­tin (354 - 430), XXIIIe ser­mon au peuple, n° 13-14 ; 16
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