
Nicolas Mignard (1606-1668)
Saint Bruno en prière dans le désert (1638)
Musée Calvet, Avignon
J’habite un désert situé en Calabre et, de tous côtés, assez éloigné des habitations des hommes. J’y suis avec mes frères religieux, dont certains sont pleins de science ; ils montent une garde sainte et persévérante, dans l’attente du retour de leur Maître, pour lui ouvrir dès qu’il frappera.
Comment pourrais-je parler dignement de cette solitude, de son site agréable, de son air sain et tempéré ? Elle forme une plaine vaste et gracieuse, qui s’allonge entre les montagnes, avec des prés verdoyants et des pâturages émaillés de fleurs. Comment décrire l’aspect des collines qui s’élèvent légèrement de toutes parts, et le secret des vallons ombragés, où coulent à profusion les rivières, les ruisseaux et les sources ? Il n’y manque ni jardins irrigués, ni arbres aux fruits variés et abondants.
Mais pourquoi m’arrêter si longtemps sur ces agréments ? Il y a pour l’homme sage d’autres plaisirs, plus doux et bien plus utiles, parce que divins. Pourtant de tels spectacles sont souvent un repos et un délassement pour l’esprit trop fragile, quand il est fatigué par une règle austère et l’application aux choses spirituelles. Si l’arc est tendu sans relâche, il perd de sa force et devient moins propre à son office.
Ceux-là seuls qui en ont fait l’expérience savent ce que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment. Là, en effet, les hommes forts peuvent se recueillir autant qu’ils le désirent, demeurer en eux-mêmes, cultiver assidûment les germes des vertus, et se nourrir avec bonheur des fruits du paradis. Là on s’efforce d’acquérir cet œil dont le clair regard blesse d’amour le divin Époux et dont la pureté donne de voir Dieu. Là on s’adonne à un loisir bien rempli et l’on s’immobilise dans une action tranquille. Là Dieu, pour le labeur du combat, donne à ses athlètes la récompense désirée : une paix que le monde ignore et la joie dans l’Esprit Saint. Telle est cette meilleure part que Marie a choisie et qui ne sera pas enlevée.
Saint Bruno (~1030 - 1101), Lettre à Raoul le Verd
Biographie