
Si Dieu est personnel et s’il nous a faits à son image, il est normal qu’il nous parle et d’abord qu’il nous appelle. Pouvoir être appelé par Dieu est pour l’homme le signe de sa transcendance, en même temps que de sa liberté. Cela montre que l’homme n’est ni déterminé à une seule attitude, ni limité à ce qu’il porte en lui : c’est cela la marque de sa transcendance. Mais cette transcendance même le situe en la libre dépendance d’un autre qui veut l’attirer à soi ou le faire participer à son œuvre. Par la révélation, Dieu nous appelle et nous parle ; nous lui répondons par la foi.
Toute la vie chrétienne est fondée sur cette possibilité, mieux, sur cette réalité d’un appel. Il n’y a pas seulement le premier et fondamental appel de la foi, il y a ceux, quotidiens, au service, à la prière, au sacrifice, bref à tout cet ordinaire qui est tout autre chose et même le contraire de l’habitude, puisque c’est une sollicitation toujours nouvelle et imprévue de notre liberté de réponse. Le saint est quelqu’un de disponible, il attend des ordres.
Cette possibilité d’entendre un appel et d’y répondre s’actualise au suprême degré dans la conversion. L’homme est capable de devenir autre qu’il n’est, de donner une autre direction, un autre sens à sa vie. C’est à quoi l’invite le premier mot de I ‘Evangile, dans lequel nos récits résument la prédication de Jean-Baptiste et celle de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». C’est sans doute pour cela que Jésus reconnaît une espèce de primauté au pécheur : c’est toujours au vide et au manque qu’il s’adresse ; c’est seulement le pauvre qu’il veut enrichir. Mais, au fond, c’est le seul qui puisse être enrichi, car ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Après avoir cité ce texte, Luther évoquait celui de Luc, et il écrivait : « Seule est cherchée la brebis qui avait péri, seul est libéré le captif, le pauvre seul est enrichi, l’infirme seul est fortifié, l’humilié seul est exalté, n’est rempli que ce qui est vide, construit que ce qui ne l’était pas ».
C’est le sentiment de cette situation en quelque sorte privilégiée du pécheur qui portait saint Ambroise à privilégier également l’appel qui lui est adressé. « Le Seigneur appela l’homme et lui dit où es-tu ? Le juste qui voit le Seigneur et qui vit en sa compagnie ne doit ni se cacher de sa présence ni être appelé par lui, car il est toujours avec lui. Mais le pécheur qui se dérobe à la voix et qui se cache dans le bosquet du paradis, celui-là Dieu l’appelle : Adam, où es-tu ? Car il se cache, il a honte. Mais du fait que Dieu l’appelle, c’est déjà un indice qu’il pourra guérir de son péché, car Dieu appelle ceux dont il a pitié ».
Yves Congar (1904 -1995), Vie spirituelle
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