Yves Congar. At­ten­dons-nous en­core Jésus-Christ ?

Le chris­tia­nisme est, tout à la fois, cé­lé­bra­tion des faits pas­sés de la Ré­demp­tion, at­tente de l’achèvement de toutes choses dans la vie éter­nelle, et réa­li­té ac­tuelle d’une vie spi­ri­tuelle dans le Christ et en Dieu.

Un grand nombre de nos contem­po­rains sont vrai­ment ani­més par une es­pé­rance, un but si­tué loin, peut-être en avant de nous, et vers le­quel ils veulent hâ­ter le mou­ve­ment de l’histoire. Mais, nous aus­si, nous avons notre es­pé­rance et nous sa­vons vers quel terme s’achemine le monde. Tout converge vers la vic­toire dé­fi­ni­tive du Christ sur la mort. Un nou­vel ordre de choses com­men­cé à la ré­sur­rec­tion, le jour de Pâques, doit s’achever par notre ré­sur­rec­tion à tous, et par l’instauration d’un règne de Dieu to­tal et sou­ve­rain. Oui, tôt ou tard, Jé­sus re­vien­dra nous prendre avec lui et nous éta­blir dans son royaume. Il re­vien­dra, pour cha­cun de nous, au soir de notre vie, comme un vo­leur - la com­pa­rai­son est de l’Évangile. Mais il re­vien­dra sur­tout au soir de ce monde, non plus comme un vo­leur, mais dans la puis­sance et la gloire. Croyons-nous vrai­ment ce­la ? Nous por­tons-nous par notre dé­sir vers ce mo­ment où, se­lon l’Apocalypse, il es­suie­ra toute larme de nos yeux ? Ah, s’il s’agit de la ve­nue d’un de nos amis, nous sa­vons ce que c’est que d’attendre et de dé­si­rer ! Certes, les sen­ti­ments re­li­gieux ont plus de dis­cré­tion et de sé­ré­ni­té. Mais ils doivent être aus­si réels et oc­cu­per dans notre vie une place ef­fec­tive. Vi­vons dans l’attente et le dé­sir du re­tour du Sei­gneur, de sa jus­tice et de son règne !

Mais s’il doit re­ve­nir comme un triom­pha­teur et comme un juge au soir du monde, comme un vo­leur au soir de notre vie, Jé­sus vient aus­si chaque jour, d’une ma­nière très in­time et très douce, comme un ami, dans nos âmes. Et ce­la, nous le sa­vons bien. Qui n’a pas eu, dans sa vie, ses mo­ments de lu­mière et de gé­né­ro­si­té, cor­res­pon­dant par­fois à une pé­riode de souf­france et d’effort ? Qui n’a pas connu, à la suite d’une prière, d’une vé­ri­table prière du cœur, une sorte de cer­ti­tude, d’exaltation très douce, de paix pro­fonde, fruits des vi­sites de Dieu, et ce­la, même au sein de la souf­france ? Qui n’a en­ten­du en lui-même cette voix qui est celle de Dieu, et aus­si de la conscience, cette voix qui, par­fois, se fait d’une pré­ci­sion éton­nante, pour nous de­man­der un sa­cri­fice, un acte de gé­né­ro­si­té ou de par­don ? Non, vrai­ment, nous ne sommes pas seuls. Sans cesse, Jé­sus nous visite !

Il y a même da­van­tage. Connais­sez-vous ce texte de l’Apocalypse où l’on re­con­naît bien la main de saint Jean, le dis­ciple que Jé­sus ai­mait ? Le Sei­gneur y parle à son dis­ciple et, aus­si bien, à son Église. « Voi­ci, dit-il, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un en­tend ma voix et s’il m’ouvre, j’entrerai chez lui et je sou­pe­rai avec lui, et lui avec moi. » Quelle ten­dresse dans ces pa­roles ! Jé­sus se tient à notre porte et il frappe. Il frappe par­fois un tout pe­tit coup et ce­la suf­fit aux âmes fi­dèles et dé­li­cates pour le re­con­naître et lui ou­vrir. Heu­reux qui sait l’entendre ! Il ou­vri­ra, il re­ce­vra la vi­site de ce­lui qui vient, et ils sou­pe­ront en­semble, de ce sou­per où notre hôte ap­porte tout, de ce sou­per qui est la vie d’amitié avec Dieu.

Yves Congar (1904 -1995), Vie spi­ri­tuelle, dé­cembre 1949
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