Maître Eck­hart. Trans­forme com­plè­te­ment ta pauvreté

Gio­van­ni Bel­li­ni (~1426-1516)
Por­trait de Maître Eck­hart (1515)
Na­tio­nal Gal­le­ry, Londres 

Ce­lui qui vou­drait re­ce­voir le corps pré­cieux de notre bien-ai­mé Sei­gneur ne doit pas at­tendre de res­sen­tir ou de goû­ter beau­coup de fer­veur et de dé­vo­tion, mais il doit exa­mi­ner sa vo­lon­té et son in­ten­tion. N’at­tache pas tant d’im­por­tance à ce que tu éprouves, mais bien à ce que tu re­çois et à tes dispositions.

Tu pour­rais dire : « Ah ! Sei­gneur, je ne vois pas en moi de grandes choses, mais rien que pau­vre­té. Com­ment ose­rais-je donc al­ler vers lui ?» En vé­ri­té, si tu veux trans­for­mer com­plè­te­ment ta pau­vre­té, va vers le tré­sor abon­dant de la ri­chesse in­fi­nie et tu de­vien­dras riche, car sois bien per­sua­dé qu’il est seul le tré­sor qui peut te suf­fire et te ras­sa­sier. C’est pour­quoi dis : « J’i­rai vers toi pour que ta ri­chesse comble ma pau­vre­té, pour que toute ton im­men­si­té comble mon in­di­gence, pour que ta déï­té in­fi­nie comble mon hu­ma­ni­té par trop mi­sé­rable et corrompue. »

« Ah ! Sei­gneur ! J’ai beau­coup pé­ché, je ne peux pas ex­pier !» Va donc vers lui ; il a di­gne­ment ex­pié toute faute. En lui tu peux of­frir au Père cé­leste la digne of­frande pour toutes tes fautes ».

« Ah ! Sei­gneur, j’ai­me­rais faire en­tendre un chant de louanges et je ne le puis. » Va vers lui, lui seul est la re­con­nais­sance que le Père puisse ac­cueillir, la louange in­fi­nie et vé­ri­table de toute la di­vine bon­té. En un mot, si tu veux que toutes tes in­fir­mi­tés te soient com­plè­te­ment re­ti­rées et en­le­vées pour se re­vê­tir de ver­tus et de grâces, di­ri­gées et ra­me­nées mer­veilleu­se­ment vers leur ori­gine, ap­plique-toi à re­ce­voir le sa­cre­ment di­gne­ment et sou­vent : ain­si tu se­ras uni à lui et en­no­bli par son corps.

Au­cun ré­ci­pient ne peut conte­nir deux sortes de bois­son. S’il doit conte­nir du vin, il faut né­ces­sai­re­ment qu’on en­lève l’eau. Il faut qu’il soit nu et vide. C’est pour­quoi, si tu veux avoir et trou­ver pleine joie et pleine conso­la­tion en Dieu, veille à être dé­pouillée de toutes les créa­tures, de toute conso­la­tion ve­nant des créa­tures. Car cer­tai­ne­ment, tout le temps que la créa­ture te console et peut te conso­ler, tu ne trou­ve­ras ja­mais de vraie conso­la­tion. Mais lorsque rien ne peut te conso­ler que Dieu, en vé­ri­té, Dieu te conso­le­ra et en même temps que lui en lui, tout ce qui donne la joie. Si ce qui n’est pas Dieu te console, tu n’au­ras de conso­la­tion nulle part, mais si la créa­ture ne te console pas et que tu n’y trouves pas de goût, tu trou­ve­ras par­tout la consolation.

Maître Eck­hart (1260-1328), En­tre­tiens spi­ri­tuels, XX
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