▷ Maître Eck­hart. Les pauvres en esprit

En­sei­gne­ment au Moyen Âge
De pro­prie­ta­ti­bus re­rum, France, XVe s.
Royal ma­nus­cripts, Bri­tish Li­bra­ry, Londres

« Heu­reux sont les pauvres en es­prit
car le royaume des cieux est à eux. » (Mt 5, 3)

La béa­ti­tude ou­vrit sa bouche de sa­gesse et dit : « Heu­reux sont les pauvres en es­prit car le royaume des cieux est à eux. » Tous les anges et tous les saints et tout ce qui na­quit ja­mais doit faire si­lence quand parle la sa­gesse du Père car toute la sa­gesse des anges et de toutes les créa­tures est une pure fo­lie de­vant la sa­gesse in­son­dable de Dieu. Celle-ci a dit que les pauvres sont heureux.

Il est deux sortes de pau­vre­té : une pau­vre­té ex­té­rieure, elle est bonne et il faut hau­te­ment la louer chez l’­homme qui la pra­tique vo­lon­tai­re­ment pour l’a­mour de Notre-Sei­gneur Jé­sus Christ, car lui-même l’a pra­ti­quée sur terre. De cette pau­vre­té je ne veux pas par­ler da­van­tage main­te­nant, mais il existe en­core une autre pau­vre­té, une pau­vre­té in­té­rieure, celle qu’il faut en­tendre par la pa­role de Notre-Sei­gneur quand il dit : « Heu­reux sont les pauvres en es­prit. » Je vous prie d’être ain­si pour que vous com­pre­niez ce dis­cours. Car je vous dis, dans l’é­ter­nelle vé­ri­té : si vous n’êtes pas conforme à cette vé­ri­té dont nous vou­lons main­te­nant par­ler, vous ne pou­vez pas me comprendre.

Cer­taines per­sonnes m’ont de­man­dé ce qu’est la pau­vre­té en elle-même et ce qu’est un homme pauvre. Nous vou­lons y répondre.

Est un homme pauvre ce­lui qui ne veut rien, et qui ne sait rien, et qui n’a rien. […]

Si on me de­man­dait ce qu’est un homme pauvre, qui ne veut rien, je ré­pon­drais : tout le temps que l’­homme est tel que c’est sa vo­lon­té de vou­loir ac­com­plir la toute chère vo­lon­té de Dieu — cet homme n’a pas la pau­vre­té dont nous vou­lons par­ler, car cet homme a une vo­lon­té par la­quelle il veut sa­tis­faire à la vo­lon­té de Dieu et ce n’est pas la vraie pau­vre­té. Car si l’­homme doit être vé­ri­ta­ble­ment pauvre, il doit être aus­si dé­pris de sa vo­lon­té créée qu’il l’é­tait quand il n’é­tait pas. Car je vous dis par l’é­ter­nelle vé­ri­té : tout le temps que vous avez la vo­lon­té d’ac­com­plir la vo­lon­té de Dieu et que vous avez le dé­sir de l’é­ter­ni­té et de Dieu, vous n’êtes pas pauvres, car seul est un homme pauvre ce­lui qui ne veut rien et qui ne dé­sire rien.

Est un homme pauvre ce­lui qui ne veut rien, et qui ne sait rien, et qui n’a rien.

Maître Eck­hart (1260 - 1328), Ser­mon 52, ex­traits
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