Hen­ri de Lu­bac. En­fants de la même Église

Comme les hommes sont di­vers ! Tout les sé­pare : le siècle, le cli­mat, la culture, le mi­lieu. D’où la dif­fé­rence ir­ré­duc­tible des pro­blèmes, des sou­cis, des goûts, des modes d’ex­pres­sion. Et non seule­ment les men­ta­li­tés s’op­posent, ce qui se­rait en­core une ma­nière de se ren­con­trer : mais en­core elles sont sou­vent étran­gères les unes aux autres.

Or voi­ci la mer­veille : ceux qui pa­rais­saient entre eux les plus dis­pa­rates, ceux que tout de­vait éloi­gner sans re­mède se re­trouvent sou­dain tout proches. Les voi­ci frères, vi­brant à l’u­nis­son, ré­pon­dant au même ap­pel, com­mu­niant dans un même amour, comme si un même sang cou­lait dans leurs veines. En­fants de la même Église, ils en ont tous re­çu en hé­ri­tage le même Christ. Nour­ris de la même foi, ils sont abreu­vés d’un même Es­prit qui les fait spon­ta­né­ment ré­agir de même. À ce signe, ils se re­con­naissent tous entre eux.

Comme ils sont loin de nous, par exemple, ces Alexan­drins du IIIe siècle ou ces Afri­cains du Ve, mal­gré cer­tains élé­ments de culture qui se sont trans­mis à tra­vers eux jus­qu’à nous. De nous à eux, quel dé­pay­se­ment ! Comme nous pa­raissent ir­réels et fas­ti­dieux la plu­part de leurs pro­blèmes ! Mais au dé­tour d’une page, un Nom sur­git. Tel un éclair, il dis­perse les brumes en­vi­ron­nantes. Mille dé­tails s’or­donnent au­tour de lui, se hié­rar­chisent. Bien­tôt tout par­ti­cipe de sa clar­té, tout re­prend vie. Se font alors per­cep­tibles des nuances de sen­ti­ment qui, jusque dans la pointe de leur dé­li­ca­tesse, re­couvrent en per­fec­tion les nôtres. Dans leur amour pour Jé­sus un Ori­gène, un Au­gus­tin sont vrai­ment nos contem­po­rains. Ils sont nos pères, ils sont nos frères.

Et si loin que porte en­suite notre en­quête, en quelque di­rec­tion qu’elle s’o­riente, la même ex­pé­rience s’é­tend à me­sure. Par­tout s’offrent à nous ces té­moins du Christ qui l’aiment sans l’a­voir vu. Par­tout leur re­gard est le même, fixant ce­lui qui les a dé­tour­nés des idoles, en leur mon­trant Dieu dans la chair, et qui seul, pou­vait le faire. Par­tout leur ac­cent est le même. C’est un Ber­nard de Fon­taine, c’est un Fran­çois d’As­sise, c’est un Ignace de Loyo­la ; c’est, plus près de nous, un Charles de Fou­cauld. Dans la di­ver­si­té presque in­fi­nie des har­mo­niques, par­tout re­ten­tit ce même can­tique nou­veau que tous ont ap­pris de la même mère à chan­ter, lors de leur nou­velle nais­sance. À leurs yeux à tous, le nom de Jé­sus est une lu­mière se­reine, il est à leurs oreilles, le son même de la vie. Tous pro­clament que man­quer à l’a­mour du Christ n’est pas seule­ment une in­fir­mi­té, c’est la mort. Tous, ils trouvent en cet amour une fleur de grâce et de jeu­nesse. Tous, ils savent qu’en le leur don­nant pour frère, pour maître, pour com­pa­gnon, pour ran­çon et pour ré­com­pense, Dieu a ré­pon­du d’a­vance à toutes leurs de­mandes. Tous savent qu’en Jé­sus, il leur a tout ré­vé­lé et tout donné.

Et cet im­mense concert, c’est la Tra­di­tion de l’É­glise qui le nour­rit, c’est sa force opé­rante qui le règle. Il n’est ce­pen­dant le fruit ni d’un mi­mé­tisme, ni d’un ac­cord pé­ni­ble­ment re­cher­ché. La voix de l’u­nique Es­prit par­lant à l’u­nique Épouse re­ten­tit au fond de chaque conscience. Par­tout c’est en re­tour la même foi, la même es­pé­rance, le même amour. C’est l’ex­pres­sion au-de­hors d’une uni­té fon­cière, c’est le jaillis­se­ment d’une Flamme unique.

Hen­ri de Lu­bac (1896-1991), Mé­di­ta­tion sur l’Église

Bio­gra­phie
Hen­ri de Lu­bac (1896-1991) est une fi­gure ma­jeure de la théo­lo­gie ca­tho­lique du ving­tième siècle. Son œuvre de théo­lo­gien a exer­cé une réelle in­fluence sur de nom­breux in­tel­lec­tuels et sus­ci­té des dé­bats par­fois très vifs, en par­ti­cu­lier sur la « nou­velle théo­lo­gie » et le « sur­na­tu­rel ». Avec ce­lui qui de­vait de­ve­nir car­di­nal c’est aus­si la vie de l’É­glise des an­nées de la se­conde guerre mon­diale à Va­ti­can II qui est illus­trée, en lien avec de grands in­tel­lec­tuels comme Blon­del, Teil­hard de Char­din, Étienne Gil­son et Hans Urs von Balthasar.