
À Dieu seul la gloire ! Tout en Marie le proclame. Sa sainteté est toute théologale. C’est la perfection de la foi, de l’espérance, de l’amour. Elle accomplit la « religion des Pauvres ». La servante du Seigneur s’efface devant Celui qui a regardé sa bassesse. Elle admire sa puissance. Elle célèbre sa miséricorde et sa fidélité. Elle exulte en Lui seul. Elle est sa gloire. Tout son rôle maternel à notre égard consiste à nous mener à lui.
Telle est Marie. Telle est aussi l’Église, notre Mère : la parfaite adoratrice. Entre elles réside ici le point suprême de l’analogie. C’est qu’en l’une comme en l’autre, le même Esprit est à l’œuvre. Mais tandis qu’en Marie cette humble et haute perfection brille d’un éclat très pur, en nous-mêmes qui sommes encore à peine touchés par cet Esprit, elle a peine à se dégager. L’Église maternelle n’a jamais fini de nous enfanter à la vie de l’Esprit. Et le plus grand péril pour l’Église que nous sommes, la tentation la plus perfide, celle qui renaît toujours, insidieusement, alors que toutes les autres sont vaincues, celle que ces victoires mêmes alimentent, c’est ce que dom Vonier appelait « la mondanité spirituelle ». « Nous entendons par là, disait-il, ce qui pratiquement se présente comme un détachement de l’autre mondanité, mais dont l’idéal moral, voire spirituel, serait, au lieu de la gloire du Seigneur, l’homme et son perfectionnement. Une attitude radicalement anthropocentrique, voilà la mondanité de l’Esprit. Elle deviendrait irrémissible dans le cas – supposons-le possible – d’un homme rempli de toutes les perfections spirituelles, mais ne les rapportant pas à Dieu ».
Si cette mondanité devait envahir l’Église et travailler à la corrompre en s’attaquant à son principe même, elle serait infiniment plus désastreuse que toute mondanité simplement morale. D’un tel mal, aucun de nous n’est totalement à l’abri. Un humanisme subtil, adversaire du Dieu Vivant et en secret non moins ennemi de l’homme, peut s’insinuer en nous par mille détours. Jamais la courbure originelle n’est définitivement redressée en nous.
Mais aucun de nous n’est l’Église elle-même, aucune de nos trahisons ne peut livrer à l’ennemi la Cité que le Seigneur lui-même tient sous sa garde. Le Magnificat n’a pas été dit une seule fois dans le jardin d’Hébron ; il a été mis pour tous les siècles dans la bouche de l’Église où il conserve toute sa force. D’âge en âge, comme la Vierge Marie, l’Église magnifie le Seigneur, en versant dans nos ténèbres la lumière de la Divinité. L’idée de louange divine est associée pour toujours à son nom. En dépit de nos résistances, l’Esprit du Christ ne cesse de l’animer, car elle est en vérité le Corps du Christ. Elle est la Maison de Dieu, bâtie au sommet des montagnes, au-dessus de toutes les collines ; et toutes les Nations viendront à elle et diront : « Gloire à Toi, Seigneur !»
Aujourd’hui même, à travers toutes les opacités, comme la Vierge encore, elle est le sacrement de Jésus-Christ. Aucune de nos infidélités ne l’empêche de demeurer « l’Église de Dieu » et « la Servante du Seigneur ». Elle inaugure dans le temps la grande Liturgie éternelle.
Henri de Lubac (1896-1991), Méditation sur l’Église
Biographie
Henri de Lubac (1896-1991) est une figure majeure de la théologie catholique du vingtième siècle. Son œuvre de théologien a exercé une réelle influence sur de nombreux intellectuels et suscité des débats parfois très vifs, en particulier sur la « nouvelle théologie » et le « surnaturel ». Avec celui qui devait devenir cardinal c’est aussi la vie de l’Église des années de la seconde guerre mondiale à Vatican II qui est illustrée, en lien avec de grands intellectuels comme Blondel, Teilhard de Chardin, Étienne Gilson et Hans Urs von Balthasar.