
Jésus savait bien que, sous le nom de Dieu, on peut mettre n’importe quoi. Il le savait bien, Lui qui allait être la victime des prêtres et des théologiens et des exégètes de son temps. Lui qui allait être immolé au nom de Dieu et comme l’ennemi de Dieu, il savait que sous le nom de Dieu on peut mettre n’importe quoi et que, pour atteindre le Vrai Dieu, il faut être au service de l’homme.
L’homme est donc au centre des préoccupations de Jésus. La religion de Jésus, c’est la religion de l’homme parce que, justement le Royaume de Dieu est au-dedans de nous, et jamais cette religion n’éclate d’une manière plus émouvante et plus tragique qu’au Lavement des pieds. C’est un des derniers gestes de Jésus, et c’est là que nous pouvons lire l’Éternel et Nouveau Testament : Jésus est à genoux au Lavement des pieds, à genoux devant ses disciples. Il est à genoux devant Judas qui l’a vendu, à genoux devant Pierre qui va le trahir, à genoux devant Jean qui va s’endormir au Jardin de l’Agonie, à genoux devant tous les autres qui vont s’enfuir quand ils verront la partie perdue !
Pourquoi est-Il à genoux ? Justement, parce que, dans un dernier élan d’amour, Il veut mettre les disciples du côté de l’Amour, du côté de la Rédemption. Il veut les associer au Mystère qui va s’accomplir et où Il va s’enfoncer, tout seul, dans cette nuit effroyable qui fera jaillir de ses lèvres un cri de désespoir. Il tente une dernière fois de bousculer les idoles et de mettre ses disciples en face d’un Dieu intérieur à eux-mêmes — il n’y en a pas d’autre — , un Dieu au-dedans de nous, un Dieu dont la caractéristique est justement d’être un pur dedans. Il n’a pas de dehors. Il est là, comme une musique silencieuse, au plus profond de nos cœurs. Il ne cesse de nous attendre pour nous transformer en Lui.
C’est à ce Dieu-là que Jésus veut conduire l’homme mais, pour que l’homme découvre ce Dieu, il faut que l’homme se transforme, qu’il naisse de nouveau, qu’il consente à l’Amour, qu’il se donne à Dieu comme Dieu se donne à lui.
Et toute la vie de Jésus, c’est cette passion de l’homme, cette passion pour l’homme qu’II veut rendre à lui-même en le conduisant à Dieu, puisque c’est la même chose de conduire l’homme à lui-même et de le conduire à Dieu. Et Jésus peut seul nous conduire, nous conduire à nous-mêmes comme Il peut seul nous conduire à Dieu parce qu’II est le Fils de l’Homme.
Il faut être attentif à ce titre de Fils de l’Homme que Jésus se donne : il doit nous être infiniment cher. Jésus s’appelle le Fils de l’Homme, c’est à dire l’Homme. Il est l’Homme dans un sens unique. Nous sommes tous « des hommes » au pluriel. Lui, il est l’Homme au singulier. Il n’est pas seulement un homme parmi les hommes. Comme dira St Paul magnifiquement, il est « le second Adam ». En Lui, toute l’Histoire recommence, toute l’Histoire se récapitule ; en Lui toute l’Histoire trouve son unité, car Il porte toute l’Humanité comme une mère peut porter son unique enfant. Quand il s’agit d’une vraie mère, celle-ci peut vivre la vie de son enfant plus que lui, pour lui, en lui, avant lui. Et c’est ce que fait Jésus pour tous les hommes.
Maurice Zundel (1897-1975), Ton visage, ta lumière
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