Mau­rice Zun­del. Le se­cond Adam


Jé­sus sa­vait bien que, sous le nom de Dieu, on peut mettre n’im­porte quoi. Il le sa­vait bien, Lui qui al­lait être la vic­time des prêtres et des théo­lo­giens et des exé­gètes de son temps. Lui qui al­lait être im­mo­lé au nom de Dieu et comme l’en­ne­mi de Dieu, il sa­vait que sous le nom de Dieu on peut mettre n’im­porte quoi et que, pour at­teindre le Vrai Dieu, il faut être au ser­vice de l’homme. 

L’­homme est donc au centre des pré­oc­cu­pa­tions de Jé­sus. La re­li­gion de Jé­sus, c’est la re­li­gion de l’­homme parce que, jus­te­ment le Royaume de Dieu est au-de­dans de nous, et ja­mais cette re­li­gion n’é­clate d’une ma­nière plus émou­vante et plus tra­gique qu’au La­ve­ment des pieds. C’est un des der­niers gestes de Jé­sus, et c’est là que nous pou­vons lire l’É­ter­nel et Nou­veau Tes­ta­ment : Jé­sus est à ge­noux au La­ve­ment des pieds, à ge­noux de­vant ses dis­ciples. Il est à ge­noux de­vant Ju­das qui l’a ven­du, à ge­noux de­vant Pierre qui va le tra­hir, à ge­noux de­vant Jean qui va s’en­dor­mir au Jar­din de l’A­go­nie, à ge­noux de­vant tous les autres qui vont s’en­fuir quand ils ver­ront la par­tie perdue !

Pour­quoi est-Il à ge­noux ? Jus­te­ment, parce que, dans un der­nier élan d’a­mour, Il veut mettre les dis­ciples du cô­té de l’A­mour, du cô­té de la Ré­demp­tion. Il veut les as­so­cier au Mys­tère qui va s’ac­com­plir et où Il va s’en­fon­cer, tout seul, dans cette nuit ef­froyable qui fe­ra jaillir de ses lèvres un cri de déses­poir. Il tente une der­nière fois de bous­cu­ler les idoles et de mettre ses dis­ciples en face d’un Dieu in­té­rieur à eux-mêmes — il n’y en a pas d’autre — , un Dieu au-de­dans de nous, un Dieu dont la ca­rac­té­ris­tique est jus­te­ment d’être un pur de­dans. Il n’a pas de de­hors. Il est là, comme une mu­sique si­len­cieuse, au plus pro­fond de nos cœurs. Il ne cesse de nous at­tendre pour nous trans­for­mer en Lui. 

C’est à ce Dieu-là que Jé­sus veut conduire l’­homme mais, pour que l’­homme dé­couvre ce Dieu, il faut que l’­homme se trans­forme, qu’il naisse de nou­veau, qu’il consente à l’A­mour, qu’il se donne à Dieu comme Dieu se donne à lui.

Et toute la vie de Jé­sus, c’est cette pas­sion de l’­homme, cette pas­sion pour l’­homme qu’II veut rendre à lui-même en le condui­sant à Dieu, puisque c’est la même chose de conduire l’­homme à lui-même et de le conduire à Dieu. Et Jé­sus peut seul nous conduire, nous conduire à nous-mêmes comme Il peut seul nous conduire à Dieu parce qu’II est le Fils de l’Homme.

Il faut être at­ten­tif à ce titre de Fils de l’­Homme que Jé­sus se donne : il doit nous être in­fi­ni­ment cher. Jé­sus s’ap­pelle le Fils de l’­Homme, c’est à dire l’­Homme. Il est l’­Homme dans un sens unique. Nous sommes tous « des hommes » au plu­riel. Lui, il est l’­Homme au sin­gu­lier. Il n’est pas seule­ment un homme par­mi les hommes. Comme di­ra St Paul ma­gni­fi­que­ment, il est « le se­cond Adam ». En Lui, toute l’­His­toire re­com­mence, toute l’­His­toire se ré­ca­pi­tule ; en Lui toute l’­His­toire trouve son uni­té, car Il porte toute l’­Hu­ma­ni­té comme une mère peut por­ter son unique en­fant. Quand il s’a­git d’une vraie mère, celle-ci peut vivre la vie de son en­fant plus que lui, pour lui, en lui, avant lui. Et c’est ce que fait Jé­sus pour tous les hommes.

Mau­rice Zun­del (1897-1975), Ton vi­sage, ta lu­mière
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