
La joie chrétienne est la fine pointe de notre amour pour nos frères les hommes. Nous n’avons rien à donner de nous-mêmes, et pourtant il convient que l’amour de Dieu se répercute en nous pour se communiquer aux autres. La joie est cette pure manifestation de l’amour de Dieu en nous pour les autres. Mais il faut que cette joie soit vraie, c’est-à-dire causée par l’amour du Christ et exprimée dans la sincérité de notre humanité. Puisée ailleurs qu’en Jésus-Christ, notre joie ne serait pas durable ; artificiellement exprimée, elle agacerait et ne communiquerait pas le bonheur de Dieu. La Joie surgit de la contemplation du Christ ressuscité et victorieux, elle s’y entretient et s’y augmente. Nous savons par la résurrection du Christ que tout obstacle est vaincu dans notre vie. Nous sommes victorieux en tout par la foi, notre attachement à Jésus-Christ. Malgré les apparences parfois contraires, le Christ, nous entraînant avec lui, nous fait dominer les difficultés du monde, il nous rend libre à l’égard de tout. Cette liberté des ressuscités que nous sommes exalte notre joie. Désormais nous sommes tout à Dieu ; ni la vie avec ses complexités, ni la mort avec son mystère, ne peuvent rien contre cette joie de l’amour et de la liberté. Éternellement nous sommes promis au bonheur. Quand notre corps se dissoudra, quand nous serons séparés de ceux que nous aimons, nous serons, plus près du Christ, assurés d’un retour de notre être au monde visible par la résurrection de la chair. Tout sera retrouvé, rendu, renouvelé, de ce qui fait déjà notre joie dans la création, mais une joie parfois voilée.
La vie, éternelle déjà, nous enthousiasme. Sentir que l’on existe, et que l’on vibre, et que l’on aime, ne peut pas ne pas donner de la joie. Qu’importent les troubles divers de cette vie-là, puisqu’elle nous permet d’exister, de communiquer avec les créatures par notre corps qui rend sensible notre vie, nous communions dans la joie avec la création tout entière.
L’amour pour tous les hommes est aussi source de joie. La résurrection nous rend la vie dans la liberté ; la vie et la liberté nous permettent l’amour véritable. Toutes les mesquineries, les jalousies, les haines, apparaissent dans tout leur ridicule, lorsque la joie éclate par le rire. On ne pense alors qu’à transmettre le bonheur dans la gratuité de l’amour. Rien n’apparaît plus cher que de voir la joie d’un autre.
La création toute entière, et non l’homme seulement, alimente la vraie joie. Tout ce que Dieu a créé est bon et conduit à la joie ceux qui ont le cœur pur, simple et sincère. La moindre rencontre de l’être avec la création devient un événement où s’épanouit la joie. Chaque chose rencontrée est comme nouvellement créée. Notre sensation la refait pour notre joie et notre connaissance plus intime de Dieu.
La rencontre du monde créé stimule aussi l’être au travail créateur, et c’est un mobile de joie nouvelle.
Aussi, par la résurrection du Christ qui rend libre la vie, par la vie qui permet l’amour des hommes et de toute créature, la joie s’épanouit. Mais elle peut aussi se corrompre à nouveau. Il lui faut encore l’épreuve de la souffrance. Si elle passe à travers la douleur et se maintient, elle est véritable et profonde ; elle a compris que la résurrection, sa source profonde, ne fait qu’un avec la mort du Christ en croix. Comme le proclame la liturgie du Vendredi saint : « Par la croix est venue la joie pour tout l’univers », Celui qui ne connaît pas le Christ, connaît la joie de vivre, d’aimer, de créer, il ne sait pas la joie dans la souffrance, à travers elle, à cause de celle de Jésus-Christ, qui donne la vraie liberté de la créature, le salut.
Max Thurian (1921-1996), L’homme moderne et la vie spirituelle
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