Max Thu­rian. La source de la joie chrétienne

La joie chré­tienne est la fine pointe de notre amour pour nos frères les hommes. Nous n’a­vons rien à don­ner de nous-mêmes, et pour­tant il convient que l’a­mour de Dieu se ré­per­cute en nous pour se com­mu­ni­quer aux autres. La joie est cette pure ma­ni­fes­ta­tion de l’a­mour de Dieu en nous pour les autres. Mais il faut que cette joie soit vraie, c’est-à-dire cau­sée par l’a­mour du Christ et ex­pri­mée dans la sin­cé­ri­té de notre hu­ma­ni­té. Pui­sée ailleurs qu’en Jé­sus-Christ, notre joie ne se­rait pas du­rable ; ar­ti­fi­ciel­le­ment ex­pri­mée, elle aga­ce­rait et ne com­mu­ni­que­rait pas le bon­heur de Dieu. La Joie sur­git de la contem­pla­tion du Christ res­sus­ci­té et vic­to­rieux, elle s’y en­tre­tient et s’y aug­mente. Nous sa­vons par la ré­sur­rec­tion du Christ que tout obs­tacle est vain­cu dans notre vie. Nous sommes vic­to­rieux en tout par la foi, notre at­ta­che­ment à Jé­sus-Christ. Mal­gré les ap­pa­rences par­fois contraires, le Christ, nous en­traî­nant avec lui, nous fait do­mi­ner les dif­fi­cul­tés du monde, il nous rend libre à l’é­gard de tout. Cette li­ber­té des res­sus­ci­tés que nous sommes exalte notre joie. Dé­sor­mais nous sommes tout à Dieu ; ni la vie avec ses com­plexi­tés, ni la mort avec son mys­tère, ne peuvent rien contre cette joie de l’a­mour et de la li­ber­té. Éter­nel­le­ment nous sommes pro­mis au bon­heur. Quand notre corps se dis­sou­dra, quand nous se­rons sé­pa­rés de ceux que nous ai­mons, nous se­rons, plus près du Christ, as­su­rés d’un re­tour de notre être au monde vi­sible par la ré­sur­rec­tion de la chair. Tout se­ra re­trou­vé, ren­du, re­nou­ve­lé, de ce qui fait dé­jà notre joie dans la créa­tion, mais une joie par­fois voilée.

La vie, éter­nelle dé­jà, nous en­thou­siasme. Sen­tir que l’on existe, et que l’on vibre, et que l’on aime, ne peut pas ne pas don­ner de la joie. Qu’im­portent les troubles di­vers de cette vie-là, puis­qu’elle nous per­met d’exis­ter, de com­mu­ni­quer avec les créa­tures par notre corps qui rend sen­sible notre vie, nous com­mu­nions dans la joie avec la créa­tion tout entière.

L’a­mour pour tous les hommes est aus­si source de joie. La ré­sur­rec­tion nous rend la vie dans la li­ber­té ; la vie et la li­ber­té nous per­mettent l’a­mour vé­ri­table. Toutes les mes­qui­ne­ries, les ja­lou­sies, les haines, ap­pa­raissent dans tout leur ri­di­cule, lorsque la joie éclate par le rire. On ne pense alors qu’à trans­mettre le bon­heur dans la gra­tui­té de l’a­mour. Rien n’ap­pa­raît plus cher que de voir la joie d’un autre.

La créa­tion toute en­tière, et non l’­homme seule­ment, ali­mente la vraie joie. Tout ce que Dieu a créé est bon et conduit à la joie ceux qui ont le cœur pur, simple et sin­cère. La moindre ren­contre de l’être avec la créa­tion de­vient un évé­ne­ment où s’é­pa­nouit la joie. Chaque chose ren­con­trée est comme nou­vel­le­ment créée. Notre sen­sa­tion la re­fait pour notre joie et notre connais­sance plus in­time de Dieu.

La ren­contre du monde créé sti­mule aus­si l’être au tra­vail créa­teur, et c’est un mo­bile de joie nouvelle.

Aus­si, par la ré­sur­rec­tion du Christ qui rend libre la vie, par la vie qui per­met l’a­mour des hommes et de toute créa­ture, la joie s’é­pa­nouit. Mais elle peut aus­si se cor­rompre à nou­veau. Il lui faut en­core l’é­preuve de la souf­france. Si elle passe à tra­vers la dou­leur et se main­tient, elle est vé­ri­table et pro­fonde ; elle a com­pris que la ré­sur­rec­tion, sa source pro­fonde, ne fait qu’un avec la mort du Christ en croix. Comme le pro­clame la li­tur­gie du Ven­dre­di saint : « Par la croix est ve­nue la joie pour tout l’u­ni­vers », Ce­lui qui ne connaît pas le Christ, connaît la joie de vivre, d’ai­mer, de créer, il ne sait pas la joie dans la souf­france, à tra­vers elle, à cause de celle de Jé­sus-Christ, qui donne la vraie li­ber­té de la créa­ture, le salut.

Max Thu­rian (1921-1996), L’homme mo­derne et la vie spi­ri­tuelle
Bio­gra­phie