Marc Cha­gall. L’Agneau de la Pâque

Oli­vier Mes­siaen (1908-1992), La manne et le Pain de Vie
Jen­ni­fer Bate, orgue, Église de la Sainte-Tri­ni­té, Paris

Marc Cha­gall (1887-1985)
Les Is­raé­lites mangent l’Agneau de la Pâque (1931)
Mu­sée Marc Cha­gall, Nice

Ex 12, 1-13
1 Dans le pays d’Égypte, le Sei­gneur dit à Moïse et à son frère Aa­ron : 2 « Ce mois-ci se­ra pour vous le pre­mier des mois, il mar­que­ra pour vous le com­men­ce­ment de l’année. 3 Par­lez ain­si à toute la com­mu­nau­té d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par fa­mille, un agneau par mai­son. 4 Si la mai­son­née est trop peu nom­breuse pour un agneau, elle le pren­dra avec son voi­sin le plus proche, se­lon le nombre des per­sonnes. Vous choi­si­rez l’agneau d’après ce que cha­cun peut man­ger. 5 Ce se­ra une bête sans dé­faut, un mâle, de l’année. Vous pren­drez un agneau ou un che­vreau. 6 Vous le gar­de­rez jusqu’au qua­tor­zième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la com­mu­nau­té d’Israël, on l’immolera au cou­cher du so­leil. 7 On pren­dra du sang, que l’on met­tra sur les deux mon­tants et sur le lin­teau des mai­sons où on le man­ge­ra. 8 On man­ge­ra sa chair cette nuit-là, on la man­ge­ra rô­tie au feu, avec des pains sans le­vain et des herbes amères. 9 Vous n’en man­ge­rez au­cun mor­ceau qui soit à moi­tié cuit ou qui soit bouilli ; tout se­ra rô­ti au feu, y com­pris la tête, les jar­rets et les en­trailles. 10 Vous n’en gar­de­rez rien pour le len­de­main ; ce qui res­te­rait pour le len­de­main, vous le dé­trui­rez en le brû­lant. 11 Vous man­ge­rez ain­si : la cein­ture aux reins, les san­dales aux pieds, le bâ­ton à la main. Vous man­ge­rez en toute hâte : c’est la Pâque du Sei­gneur. 12 Je tra­ver­se­rai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frap­pe­rai tout pre­mier-né au pays d’Égypte, de­puis les hommes jusqu’au bé­tail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes ju­ge­ments : Je suis le Sei­gneur. 13 Le sang se­ra pour vous un signe, sur les mai­sons où vous se­rez. Je ver­rai le sang, et je pas­se­rai : vous ne se­rez pas at­teints par le fléau dont je frap­pe­rai le pays d’Égypte. »
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L’épisode bi­blique re­pré­sen­té par Cha­gall dans cette gouache ren­voie di­rec­te­ment à la fête de Pes­sa’h qui com­mé­more la Sor­tie des Hé­breux d’Égypte sous la conduite de Moïse (Ex 12, 26-27, Ex 13, 14, ain­si que dans Dt 6, 20). Le terme Pes­sa’h si­gni­fie lui-même « pas­sage », ren­voyant au pas­sage de l’Ange de la mort « par-des­sus les mai­sons des en­fants d’Israël ».

Se­lon le ré­cit bi­blique, les en­fants d’Israël durent se mu­nir quelques jours avant l’Exode d’un agneau, abat­tu la veille du dé­part d’Égypte, un peu de son sang ré­pan­du sur les mon­tants et les lin­teaux des portes des mai­sons, et l’animal consom­mé rô­ti et man­gé à la hâte la nuit même, ac­com­pa­gné de pain azyme et d’herbes amères.

Pour évo­quer cet évè­ne­ment fon­da­teur dans la conscience col­lec­tive juive, ré­ac­tua­li­sé par le ri­tuel en­tou­rant la cé­lé­bra­tion de la fête de Pes­sa’h, Marc Cha­gall a cher­ché à rendre les vi­sages et les mains des en­fants d’Israël avec une grande ex­pres­si­vi­té, vi­sant par ce biais à re­lier cet épi­sode à l’expérience dra­ma­tique de l’exil de juifs d’Europe orien­tale dont Cha­gall fut le contemporain.

Le té­tra­gramme YHWH au-des­sus de la tête de l’ange si­gni­fie la pré­sence divine.

L’Ange passe et met à mort tous les en­fants pre­miers-nés des Égyp­tiens par-des­sus les mai­sons des en­fants d’Is­raël afin de les épar­gner. Tous les pre­miers-nés d’É­gypte pé­ris­sent en une même nuit. C’est la dixième plaie d’Égypte.

Le lin­teau de la porte est ta­ché du sang de l’agneau. De­bout, les en­fants d’Israël se pré­sentent comme des hommes libres. La fête de Pes­sa’h vient en ef­fet cé­lé­brer la li­bé­ra­tion de l’es­cla­vage en Égypte et l’ac­ces­sion à l’i­den­ti­té du peuple hé­breu. La coupe de vin a été pré­pa­rée pour la sanc­ti­fi­ca­tion (kid­doush). Dans les re­pré­sen­ta­tions de Pes­sa’h, les en­fants d’Israël portent ha­bi­tuel­le­ment des san­dales car l’exode est im­mi­nent. A l’encontre de cette tra­di­tion, Cha­gall a ici choi­si de les mon­trer pieds nus. L’agneau est rô­ti au feu avec la tête et les jambes. Il est man­gé avec des pains sans le­vain, à la hâte.