Paul Gau­guin. Vi­sion après le sermon

Gas­ton Li­taize (1909-1991), Jeux de rythmes
Orgue Haerp­fer-Er­man, Château-Salins 

Paul Gau­guin (1848-1903)
Vi­sion après le ser­mon (1888)
Mu­sée na­tio­nal d’Écosse, Edimbourg 

« Je viens de faire un ta­bleau re­li­gieux très mal fait mais qui m’a in­té­res­sé à faire et qui me plaît. Je vou­lais le don­ner à l’é­glise de Pont-Aven. Na­tu­rel­le­ment on n’en veut pas. Des bre­tonnes grou­pées prient. Cos­tumes noirs très in­tenses. Les bon­nets bleu jaune très lu­mi­neux très sé­vère. la vache sous l’arbre est toute pe­tite et se cabre. Pour moi dans ce ta­bleau le pay­sage et la lutte n’existent que dans l’i­ma­gi­na­tion des gens en prière par suite du ser­mon, c’est pour­quoi il y a contraste entre les gens na­ture et la lutte dans son pay­sage non na­ture et dis­pro­por­tion­né.«
 Lettre à Van Gogh, fin sep­tembre 1888

Pre­mier ta­bleau syn­thé­tique de Gau­guin qui tourne le dos à l’im­pres­sion­nisme. Pein­ture an­ti-na­tu­ra­liste et symboliste.

Le ser­mon que viennent d’é­cou­ter les pa­rois­siennes avait dé­crit la lutte de Ja­cob avec l’ange (Gn 32, 23-32), thème cher aux ar­tistes de la gé­né­ra­tion de Gau­guin, comme lui ad­mi­ra­teurs de De­la­croix, au­teur d’une cé­lèbre fresque sur la Lutte de Ja­cob avec l’Ange (1861) dans l’é­glise Saint-Sulpice.

Gn 32, 23-32
23 Cette nuit-là, Ja­cob se le­va, il prit ses deux femmes,
ses deux ser­vantes, ses onze en­fants, et pas­sa le gué du Yab­boq.
24 Il leur fit pas­ser le tor­rent et fit aus­si pas­ser ce qui lui ap­par­te­nait.
25 Ja­cob res­ta seul. Or, quelqu’un lut­ta avec lui jusqu’au le­ver de l’aurore.
26 L’homme, voyant qu’il ne pou­vait rien contre lui,
le frap­pa au creux de la hanche, et la hanche de Ja­cob se dé­mit pen­dant ce com­bat.
27 L’homme dit : « Lâche-moi, car l’aurore s’est le­vée. »
Ja­cob ré­pon­dit : « Je ne te lâ­che­rai que si tu me bé­nis. »
28 L’homme de­man­da : « Quel est ton nom ?» Il ré­pon­dit : « Ja­cob. »
29 Il re­prit : « Ton nom ne se­ra plus Ja­cob, mais Is­raël (c’est-à-dire : Dieu lutte),
parce que tu as lut­té avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as em­por­té. »
30 Ja­cob de­man­da : « Fais-moi connaître ton nom, je t’en prie. »
Mais il ré­pon­dit : « Pour­quoi me de­mandes-tu mon nom ?» Et là il le bé­nit.
31 Ja­cob ap­pe­la ce lieu Pe­nouël (c’est-à-dire : Face de Dieu),
« car, di­sait-il, j’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve. »
32 Au le­ver du so­leil, il pas­sa le tor­rent à Pe­nouël.
Il res­ta boi­teux de la hanche.

Le mo­tif du com­bat est en réa­li­té di­rec­te­ment re­pris d’un cro­quis de lut­teurs de sû­mo par Ho­ku­sai, et le grand a-plat rouge, la branche en biais sont aus­si ins­pi­rés de l’art ja­po­nais des estampes.

Kat­su­shi­ka Ho­ku­sai (1760-1849)
Lut­teurs de sû­mo (~1812)
Man­ga, vol. 3

Ce ta­bleau, ex­po­sé dès 1889 à Pa­ris et à Bruxelles, fut res­sen­ti comme une sorte de ma­ni­feste du sym­bo­lisme en pein­ture, par son su­jet ima­gi­naire et re­li­gieux, par son contre-em­ploi de la cou­leur (le vert de la prai­rie de­vient son op­po­sé rouge). Il va­lut à Gau­guin de grandes louanges, en par­ti­cu­lier du cri­tique Al­bert Au­rier, et au­tant de ré­serves, comme son an­cien maître Pis­sa­ro qui « lui re­proche d’a­voir chi­pé ce­la aux Ja­po­nais et aux peintres by­zan­tins et de ne pas avoir ap­pli­qué sa syn­thèse à notre phi­lo­so­phie mo­derne qui est ab­so­lu­ment so­ciale, an­ti­au­to­ri­taire et an­ti­mys­tique ». (lettre à son fils Lu­cien, 20 avril 1891)
© Ci­né-Club, Caen

Eu­gène De­la­croix (1798 -1863)
Ja­cob et l’ange, dé­tail (1849-1861)
Église Saint-Sul­pice, Cha­pelle des saints anges, Paris

« Ja­cob ac­com­pagne les trou­peaux et autres pré­sents à l’aide des­quels il es­père flé­chir la co­lère de son frère Esaü. Un étran­ger se pré­sente qui ar­rête ses pas et en­gage avec lui une lutte opi­niâtre, la­quelle ne se ter­mine qu’au mo­ment où Ja­cob, tou­ché au nerf de la cuisse par son ad­ver­saire, se trouve ré­duit à l’impuissance. Cette lutte est re­gar­dée, par les livres saints, comme un em­blème des épreuves que Dieu en­voie quel­que­fois à ses élus. »
Eu­gène Delacroix