Edward Elgar, Lux Aeterna (Nimrod : Enigma Variations, opus 36)
Chœur du New College d’Oxford, dir. Edward Higginbottom

Giorgio da Castelfranco, dit Giorgione (1477-1510)
Les trois philosophes (1504)
Kunsthistorisches Museum, Wien
L’énigme des « Trois philosophes »
Peints à Venise au début du XVIe siècle, les Trois philosophes sont une énigme : Rois mages ? Représentants de trois philosophies ? Symboles de la quête universelle de l’homme ? Le peintre italien Giorgione (1477-1510) est mort sans révéler leur secret.
Cette peinture est une énigme. Trois êtres drapés de flamboiement, dans la clarté de l’aurore, sont réunis près d’une roche portant dans son ventre sombre un magma végétal animé d’un souffle de vent. Que viennent-ils chercher, loin de la ville, dans l’ombre de cette nature que le jour teinte d’or ? Perdus dans leur contemplation, ils ne font plus partie du temps. Immobiles, leurs corps semblent être devenus trop petits pour contenir le secret qui les habite. Qui peut révéler la raison de leur enchantement ?
Giorgione a peint cette toile à Venise au début du XVIe siècle en gardant le mystère des trois hommes. L’artiste est lui-même un mythe insaisissable. « Son nom ne figure sur aucune œuvre et certains ne lui connaissent aucune œuvre certaine. Et pourtant tout l’art vénitien semble enflammé par sa révélation », dit D’Annunzio. L’artiste est une étoile filante qui meurt à près de trente-deux ans, fauché par la terrible épidémie de peste de 1510. Il a peint vingt tableaux, dont les Trois philosophes, l’un des rares attribués de façon certaine à sa main. Son art est une des plus hautes expressions de la civilisation raffinée de Venise. L’humanisme florentin se préoccupait essentiellement de l’Homme, désormais on veut embrasser l’univers entier. Giorgione est un novateur, il n’enferme plus le monde dans une construction. Il veut donner le sentiment de la vie, sa pulsion, son mouvement. Son art est l’expression d’un état d’âme où la couleur est au centre de la vision poétique. Celle-ci absorbe les contours dans un moelleux, un velouté, un imprécis. On perçoit l’ambiance de la lagune qui ronge les formes dans sa vapeur lumineuse. Giorgione a aimé la peinture de Léonard de Vinci qui estompe la forme dans le sfumato.
Dans cette lumière dorée, enveloppante, quasi surnaturelle, où les arbres noirs apparaissent dans un étonnant contre jour, les personnages semblent appartenir à un monde féerique en dehors du temps. La radiographie de l’œuvre montre la première intention du peintre de représenter trois figures orientales, avec des diadèmes et des turbans. Les personnages sont-ils les Rois mages représentés dans le moment figé et intense de la première lueur de l’Étoile, l’instant où le regard humain rencontre Dieu ? La carte astronomique dans la main du vieil homme s’explique ainsi par la tradition apocryphe décrivant les mages comme de savants astrologues. La grotte sombre est à l’image de l’homme qui cherche la goutte d’or de l’esprit dans les replis obscurs de son être. Pourquoi Giorgione a-t-il préféré gommer cette identité des mages ? Ces trois hommes ont été vus aussi comme des représentants de trois philosophies, celle d’Aristote sous les traits du vieil homme, celle d’Averroès pour le personnage oriental, celle de la nature en faveur à l’époque, pour le jeune homme.
Et si le peintre avait voulu représenter la quête universelle de l’homme à travers trois âges de la vie, trois races différentes ? L’équerre et le compas respectivement signes de la terre et du ciel, sont des symboles de la recherche intérieure. Le compas ouvert est une marque de connaissance. Il repose sur l’équerre, signe que l’esprit domine la matière. Alors la peinture serait celle de l’homme en quête de son accomplissement.
La lumière, dorée, enveloppante, quasi surnaturelle, produit d’étonnants effets de contre-jour. Elle plonge les personnages dans un monde féerique en dehors du temps. Les trois hommes seraient des représentants de trois philosophies, celle d’Aristote sous les traits du vieil homme, celle d’Averroès pour le personnage oriental, celle de la nature en faveur à l’époque, pour le jeune homme. La couleur est au centre de la vision poétique de Giorgione. Elle absorbe les contours et ronge la forme des figures dans un moelleux, un velouté, un imprécis hérité du sfumato de Léonard de Vinci. La carte astronomique dans la main du vieil homme indiquerait que les personnages sont les Rois mages, savants astrologues de la tradition apocryphe. L’équerre et le compas respectivement signes de la terre et du ciel, symbolisent la recherche intérieure.
Paule Amblard
Le Monde (1er mars 2007)