Georges de La Tour. Le songe de saint Joseph

Oli­vier Mes­siaen (1908-1992), Le Dieu ca­ché 1
Mes yeux ne pour­raient sup­por­ter la splen­deur de ta gloire. (Tho­mas a Kem­pis)
Jen­ni­fer Bate, orgue, Église de la Sainte-Tri­ni­té, Paris 

Georges de La Tour (1593-1615)
Le songe de saint Jo­seph (~1640)
Mu­sée des beaux-arts, Nantes 

Au mo­ment de l’Annonciation, la Vierge est fian­cée à Jo­seph. Ap­pre­nant qu’elle est en­ceinte, ce der­nier dé­cide de la ré­pu­dier en toute dis­cré­tion. Mais avant que ce pro­jet se des­sine réel­le­ment, un ange lui ap­pa­raît en songe. C’est cet ins­tant qu’a re­pré­sen­té Georges de La Tour dans une toile énig­ma­tique réa­li­sée dans la 1ère moi­tié du XVIIe siècle.

Un en­fant et un vieillard sont sé­pa­rés par une table. Sur la table, un chan­de­lier de cuivre porte des ci­seaux à mou­cher ou mou­chettes, des­ti­nés à cou­per la chan­delle et mu­nis d’une pe­tite case qui re­cueille la mèche car­bo­ni­sée. L’ombre des ci­seaux est net­te­ment des­si­née sur la droite. L’enfant sur­git de la nuit. Il se tient de­bout, la main gauche ou­verte vers le ciel dans un geste d’une grâce ex­cep­tion­nelle. Son bras droit est ten­du vers le vieillard mais sa main ne le touche pas en­core tout à fait. On ne sait si c’est un gar­çon ou une fille. Son bras ten­du cache la flamme de la chandelle.

Le vieillard, ac­cou­dé à la table, la tête dans la main droite, s’est en­dor­mi, un livre ou­vert sur les ge­noux. Il porte une longue robe brune cou­pée sur la poi­trine par une cein­ture rouge. Sa main gauche semble en­core feuille­ter le livre dont une page se sou­lève comme si elle al­lait tour­ner d’elle-même.

Trois fois en songe, Jo­seph a re­çu la vi­site d’un ange qui lui or­donne, la pre­mière fois, d’épouser Ma­rie, la deuxième de fuir en Égypte, et la troi­sième, de re­ve­nir dans son pays, après la mort d’Hérode. Mais on n’a pas sou­vent re­pré­sen­té Jo­seph lisant.

Le vi­sage de saint Jo­seph est trai­té avec un grand réa­lisme. Les rides du front, des pau­pières, du cou sont comme pé­tries de toute son hu­ma­ni­té. Il contraste avec le pro­fil pur, élé­gant et presque lisse de l’ange lumière.

Sym­bole de la lu­mière di­vine, que l’on ne peut re­gar­der en face, la flamme de la chan­delle est ca­chée der­rière la manche de l’enfant, en contre-jour.

Sai­sis dans un ins­tant éphé­mère ou un mo­ment d’éternité, les per­son­nages sont im­mo­biles, en eux-mêmes. Et le spec­ta­teur se tait aus­si, comme si Georges de La Tour avait réus­si, là, à peindre le silence.

© Église Saint-Leu - Saint-Gilles, Pa­ris
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1 Mes yeux ne pour­raient sup­por­ter la splen­deur de ta gloire. C’est pour mé­na­ger ma fai­blesse que vous vous ca­chez sous les voiles du sa­cre­ment. (Tho­mas a Kem­pis, L’Imitation de Jé­sus-Christ, livre IV, cha­pitre 11)
Sur la Croix, la di­vi­ni­té seule était ca­chée, ici, de plus, l’­hu­ma­ni­té même l’est aus­si. Pro­cla­mant néan­moins et croyant les deux, je vous adresse la même de­mande que le lar­ron pé­ni­tent. (Ado­ro te de­vote, Tho­mas d’Aquin).
Le chant de deux oi­seaux is­raé­liens ré­sonne dans ce mou­ve­ment : le ru­fi­penne de Tris­tram (ony­co­gna­thus tris­tra­mii) et l’hypolaïs pâle (hip­po­lais pal­li­da). Le thème prin­ci­pal est ti­ré de l’Alléluia gré­go­rien de la Fête-Dieu dont le texte li­tur­gique est : « Ma chair est vrai­ment une nour­ri­ture et mon sang vrai­ment une bois­son.
Ce­lui qui mange ma chair et boit mon sang de­meure en moi et moi en lui. (Jn 6, 56-57). Le mou­ve­ment re­tient que c’est un Christ dis­si­mu­lé sous des ap­pa­rences vi­sibles qui est don­né dans l’Eucharistie ; la mu­sique veut ex­pri­mer cette mys­té­rieuse invisibilité.