Trishagion (Dieu Saint, Saint Fort, Saint Immortel, prends pitié de nous), Divine liturgie de Saint Jean Chrysostome
Chorale Sofia, dir. Dimitre Rouskov

Andreï Roublev (1370-1430)
Icône de la Trinité (~1422)
Cathédrale orthodoxe du Christ-Sauveur, Moscou
L’icône de la Trinité d’Andreï Roublev est souvent considérée comme le point culminant de l’iconographie russe, et ceux-là même qui sont peu préparés à percevoir l’exquise beauté de son dessin et de son coloris et à pénétrer la profondeur de son symbolisme ne peuvent manquer d’être impressionnés par la fraîcheur, la tendresse, l’émotion contenue de ce chef-d’œuvre. Celui-ci a donné lieu à une abondante littérature, où l’accent a été mis sur l’histoire et la technique plutôt que sur l’interprétation spirituelle. C’est à ce dernier point de vue que nous aimerions nous placer maintenant. Nous voudrions essayer de répondre en termes très simples à cette question que nous dit de la Sainte Trinité l’icône de Roublev ?
Pour fixer les idées, nous rappellerons le dispositif d l’icône. Trois anges, reconnaissables à leurs ailes, sont assis autour d’une table. Sur cette table est posé un plat. Dans le fond, un paysage s’esquisse plutôt qu’il ne se précise. Nous y voyons un arbre et un édifice. Il s’agit d’une représentation de l’épisode décrit au chapitre 18 de la Genèse. Le Seigneur, y est il dit, apparut à Abraham dans la plaine de Mambré, sous la forme de trois hommes (la Bible ne prononce pas ici le mot « anges »). Abraham les invita à se reposer et leur offrit un repas. La tradition patristique a vu en ces trois visiteurs un figure des trois aspects de Dieu unique. À sa suite, la tradition iconographique byzantine a choisi de représenter la Trinité sous l’aspect des trois hommes, devenus des anges, assis à la table d’Abraham. L’icône de Roublev s’insère donc dans une longue tradition consacrée. Mais peut-être nous parle-t-elle plus que ne le font les autres anneaux de cette chaîne.
Remarquons tout d’abord le rythme ou mouvement circulaire qui semble entraîner tous les éléments de l’icône. La position des sièges, entrevus latéralement, celle de leurs marchepieds, la position même des pieds des deux anges du premier plan, l’inclinaison de leurs têtes : tout cela évoque, suggère un mouvement « dirigé » (dans le sens contraire à celui des aiguilles d’une montre). Ce mouvement se manifeste aussi bien à l’arrière-plan. L’arbre infléchit vers la gauche (du spectateur), comme sous le souffle d’un vent fort.
À gauche encore s’infléchissent les pans coupés de la toiture de l’édifice. Ce rythme exprime la circulation et la communication de la même vie divine entre les trois personnes. Mais celles-ci ne se retranchent pas dans un système clos. Leur rythme est un rythme d’adoption, d’effusion, de don, de générosité et de grâce. Leur condescendance admet, invite dans le cercle divin l’être créé, - mais il y demeurera distinct et à sa propre place. En courbant l’arbre, le mouvement circulaire de la vie divine atteint la nature. En infléchissant le toit de l’édifice (lequel à en juger par son style général et plus spécialement par celui de la fenêtre et de la porte, est une église), il atteint l’humanité priante, l’humanité à sa plus haute puissance. Le monde « adopté » constitue en quelque sorte la périphérie. Les trois personnes demeurent le centre. Cela est indiqué par une subtile dégradation des couleurs. Les tons foncés - bleu, grenat, orange, vert - des vêtements des anges sont entourés du jaune-feu plus léger des ailes et des sièges et de la pâle transparence dorée de l’arrière-plan. La réalité maximale est celle des trois personnes. « Je suis celui qui suis. » (Ex 3, 14)

Regardons maintenant les traits des trois personnes. Elles n’ont pas d’âge, et cependant elles produisent une impression de jeunesse. Elles n’ont pas de sexe, et cependant elles unissent la robustesse précise à la grâce. Les physionomies et les gestes n’ont pas été « construits » en vue du charme, et cependant le charme qui se dégage est immense. D’autres symboles trinitaires - par exemple l’Ancien des jours, l’agneau, la colombe, trois hommes assis sur un même trône - ont été représentés. Mais, à notre avis, aucune représentation n’est aussi apte que l’icône de Roublev à « introduire » le croyant dans la réalité vivante des trois personnes. Pourquoi ? Parce que Roublev a su exprimer d’une manière unique l’éternelle jeunesse et l’éternelle beauté des trois. En théorie, on sait bien tout cela. Mais quand au lieu d’un vieillard à barbe et chevelure de neige et d’une impénétrable colombe, on retrouve, grâce à une œuvre d’art, la beauté et la jeunesse du Fils dans le Père et dans le Paraclet, on reçoit comme une révélation pratique, non de concepts, mais d’attitudes. Désormais nous le voyons différemment, nous approchons différemment, nous sentons les trois différemment, car il nous a été maintenant suggéré qu’ils sont autres, non point que ce que nous croyions, mais que ce que nous imaginions (d’ailleurs plus ou moins malgré nous). Et, dans notre nouvelle vision - celle de l’éternelle jeunesse et beauté, celle de l’indescriptible charme des trois - il y a plus de chaleur, plus d’attrait, plus de joie, plus de réalité personnelle que dans la « peinture abstraite » que nous avions déduite des schémas théologiques. « Tes yeux verront le Roi dans sa beauté. » (Is 33, 17)

Chacun des trois anges porte en main un bâton allongé et très mince. C’est que chaque personne divine est un voyageur, un pèlerin. Seul le Verbe s’est fait chair, mais il s’est fait chair par la puissance et le vouloir du Père et de l’Esprit. À aucun moment les deux autres personnes n’étaient étrangères à l’œuvre de salut du Fils, à aucun moment elles ne cessent de venir jusqu’à nous et d’agir sur nous d’une manière invisible. L’icône met en lumière la participation de toute la Sainte Trinité à l’Incarnation. Les trois bâtons constituent une déclaration et une promesse. Ils déclarent que les trois sont déjà venus vers les hommes. Ils promettent que les trois viendront encore. Notre Dieu en trois personnes vient, vient à jamais.Le terme de cette venue est l’habitation des trois personnes parmi les hommes. C’est pourquoi les trois anges ont accepté l’hospitalité d’Abraham. Ils sont assis à sa table, près de sa tente (Gn 18, 1-2), sous un arbre (Gn 18,3). L’arbre et l’église représentés sur l’icône signifient encore l’arbre et la tente du récit biblique.
L’icône évoque la vie divine des trois, mais elle la met en rapport avec une table humaine, avec les besoins humains. Les trois personnes veulent être pour nous plus que des visiteurs ou des hôtes de passage. Il y a une habitation de la Trinité dans l’âme des serviteurs de Dieu. Le repas du royaume messianique s’y accomplit invisiblement. « Si quelqu’un m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui, et je souperai avec lui et lui avec moi. » (Ap 3, 20) « Nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. » (Jn 14, 23)
Mais qu’y a-t-il sur cette table autour de laquelle les anges sont assis ? Un plat y est posé. Nous discernons mal ce qu’il contient. Toutefois l’étude de l’icône faite avec des moyens appropriés décèle la tête d’un veau. Abraham avait fait préparer pour ses hôtes trois mesures de fleur de farine, un jeune veau à la chair tendre, du beurre et du lait (Gn 18, 6-8). Est-ce donc cette offrande du patriarche que le plat veut indiquer ? Dans le récit de la Genèse, les anges sont venus chez Abraham pour lui annoncer la promesse divine dont Isaac est l’objet. Abraham lui-même se tient debout auprès des anges durant leur repas, et Sarah est tout près, sous la tente. Mais l’icône ignore la présence d’Abraham. Le mets offert aux anges et posé sur la table acquiert une signification qui dépasse infiniment le geste hospitalier du patriarche. Il ne s’agit plus ici d’Abraham et d’Isaac. Nous devons chercher au veau immolé un autre et plus haut sens. Dieu prescrira plus tard à Aaron d’offrir un jeune veau en sacrifice pour le péché (Lv 9, 2,11), un même holocauste associera un veau et un agneau, tous deux sans tache et âgés d’un an (Lv 9, 3.12). Plus tard encore le Sauveur lui-même, dans une parabole, racontera comment le père de l’enfant prodigue fit tuer un veau pour le festin par lequel il célébra le retour de son fils (Lc 15, 23). Ainsi le veau de l’icône est un signe de sacrifice et de salut. Et par là l’icône nous fait approcher du mystère de la Rédemption. Car ces trois termes, Trinité, Incarnation, Rédemption, ne sont point séparables. Par quelque mystère que nous commencions à contempler l’œuvre divine, cette contemplation (appuyée non sur notre raison, mais sur la Révélation) appellera les autres mystères en vertu d’une nécessité interne.
Le pèlerinage des trois anges porteurs de bâtons de voyage ne serait pas complet s’il n’aboutissait au Calvaire. L’icône évoque donc le conseil des trois personnes divines en vue de la rédemption du genre humain. Au lieu d’un plat posé sur une table, c’est une croix que le peintre eût pu dresser au milieu des trois anges. Une spiritualité de l’Incarnation ou de la Trinité est mensongère, si elle ne maintient le Sang du Rédempteur au centre de l’œuvre du salut. Et voilà pourquoi il est juste et suggestif que les bâtons des anges soient si minces, presque comme des fils, et colorés de rouge. Car le même fil écarlate qui fut un gage de salut pour Rahab la prostituée (Jo 2, 17 ; 6, 23) relie notre faiblesse au Sang précieux versé pour nous.

Maintenant que nous savons sur quel objet précis l’icône concentre l’attention des trois anges, observons les nuances qu’expriment leurs attitudes respectives. Ils se ressemblent étonnamment. Leurs traits sont presque identiques. Et cependant leur regard et leur geste manifestent la manière propre dont chacun d’eux approche le mystère de la Rédemption. L’ange qui fait face au spectateur et qui, par rapport à celui-ci, est assis au-delà de la table représente le Père. Sa main désigne le plat ; elle suggère le sacrifice, elle y invite. Mais ce geste de la main est esquissé plutôt qu’affirmé ; ce n’est pas un geste ouvert, mais un geste retenu et comme rétractile. Et le regard, chargé de tristesse, se détourne. L’ange assis devant et à droite de la table, toujours par rapport au spectateur, représente le Fils. Le regard du Fils est, lui aussi, triste. Mais il ne se détourne pas. Tandis que la tête s’incline doucement en signe d’acceptation, les yeux, à la fois fascinés et mortellement tristes - « Mon âme est triste jusqu’à la mort » ( Mt 26, 36) - se fixent sur le plat. La main se tend vers celui-ci ; mais là encore, le geste est contenu, retenu ; il n’est pas hésitant, il est en quelque sorte explorant, tâtonnant. Toute l’attitude exprime un fiat obéissant, résigné, douloureux.
L’ange assis à gauche, devant la table, représente le Paraclet. C’est bien le cas de dire le Paraclet plutôt que l’Esprit, car c’est ici que la troisième personne exerce suprêmement son ministère de consolateur. Les mains ne se tendent pas directement vers le plat, quoique deux doigts de la main droite semblent pointer vers lui ; les deux mains tiennent avec une sorte de solennité le mince bâton rouge en face du Fils. C’est comme si ce bâton lui était présenté pour lui parler de pèlerinage terrestre et de sang répandu. Les yeux fixent le visage du Fils. Ils ont une expression navrée. L’attention de la troisième personne est profondément, totalement concentrée sur ce que le Fils va faire. Tout l’être du troisième ange exhale en silence la sympathie et la pitié. Quiconque a des difficultés à se représenter l’Esprit comme personnel devrait contempler longuement ce troisième ange de l’icône. La contemplation globale de celle-ci serait d’ailleurs singulièrement efficace pour aider à comprendre combien la Trinité est à la fois une et distincte.

Par rapport au plat posé sur la table, les trois anges ont un geste et un regard différent. Mais une harmonie parfaite - le même fiat – anime, leur décision intérieure. Rien n’est ici « commandé » du dehors, imposé par l’une des trois personnes. Il y a seulement acquiescement unanime des trois à une exigence de leur générosité, commune obéissance à une loi de leur être appliquée jusqu’aux conséquences dernières : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie. » (Jn 15, 13) L’icône - que cela soit bien entendu - exprime de manière anthropomorphique des réalités (pitié, douleur, etc.) que l’on ne peut attribuer à Dieu dans le sens où on les attribue aux hommes ; nous avons ici, peints sur une image, des symboles très inadéquats, mais que le langage divin a lui-même consacrés.
Une dernière remarque. Rien ne distinguerait l’une de l’autre les physionomies des trois anges, si ce n’était la relation que chaque physionomie exprime à l’égard de l’ « autre ». Nous avons ici trois générosités qui ne sont ni opposées ni juxtaposées, mais « posées » l’une par rapport à l’autre - posées non devant l’autre, mais en l’autre, de sorte que c’est dans cette relation d’amour que chaque personne divine « se trouve » en tant que distincte, s’affirme et jouit de son bonheur. Chaque personne divine tend vers l’autre comme vers le terme où elle obtient sa plénitude. L’icône de Roublev, par ce qu’elle nous fait entrevoir du mystère de la Trinité, nous révèle le mystère de la charité suprême que notre charité créée ne saurait rejoindre, mais dont elle peut recevoir son inspiration et son orientation.Andreï Roublev n’entendait pas suggérer des pensées, mais bien une prière. Notre rencontre avec la plus célèbre de ses œuvres ne sera ce qu’il eût voulu qu’elle fût que si, prenant à cette occasion un plus profond contact avec les trois personnes, nous répétons, prosternés, les paroles d’Abraham aux divins visiteurs, dans la plaine de Mambré : « Mon Seigneur, si maintenant j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas outre, je t’en prie, loin de ton serviteur. » (Gn 18, 3) Et si, nous accueillons les trois de tout notre cœur, nous pourrons, comme Abraham, recevoir de leur bouche l’assurance que cette expérience bénie, loin d’être un épisode isolé, nous sera accordée de nouveau : « Certainement je reviendrai à toi. » (Gn 18, 19)
Un Moine de l’Église d’Orient
Extrait de la revue Irénikon, n° 26, 1953
Trisagion / Grec
Ἅγιος ὁ Θεός,
Ἅγιος Ἰσχυρός,
Ἅγιος Ἀθάνατος,
ἐλέησον ἡμᾶς.
Slavon
Sviatiï Boje
Sviatiï Krepkiï
Sviatiï Bestmertniï
pomilouï nas.
Dieu Saint,
Saint Fort,
Saint Immortel,
prends pitié de nous.
Histoire du Trisagion
Trisagion est un terme grec qui signifie « trois fois saint » [en latin : Ter-sanctus]. Lors du grand
tremblement de terre de Constantinople de 446, tout le peuple se réfugia dans un faubourg, hors les murs, avec le patriarche Proclus1 et l’empereur Théodose II2. Pendant les litanies et les prières de supplication, un petit enfant fut enlevé dans les airs et ravi en esprit ; toute la foule cria : Kyrie eleison. L’enfant redescendit et revint à lui : il révéla alors au patriarche qu’il avait vu et entendu les Séraphins3, dans la liturgie céleste, chanter le Trisagion autour du trône de Dieu, et qu’il fallait le chanter pour que la calamité cesse. Puis il mourut. On chanta le Trisagion et le tremblement de terre cessa. Proclus introduisit ensuite le Trisagion dans la liturgie byzantine et Théodose II ordonna qu’il soit chanté dans toutes les églises de l’Empire [d’Orient]. Il fut chanté lors du IVe concile œcuménique, à Chalcédoine, en 451 (par tous les Pères, à la fin de la 1ère
session, et donc, pour la 1ére fois, de façon publique, solennelle et universelle)4. Il fut ensuite introduit dans la liturgie des Gaules et rendu obligatoire au IIe concile de Vaison, en 529. Rome ne le connut point, sauf pour son bel office de la vénération de la Croix du Vendredi Saint à 15h, où il est associé aux Impropères5.
Place dans la liturgie
Il y avait déjà, à cette époque, dans la liturgie de tous les rites un chant séraphique6, que les liturgistes occidentaux appellent le Sanctus (Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabaoth …), qui est d’origine biblique7 : il avait été révélé par le Saint-Esprit au prophète Isaïe au VIIIe siècle av. J-C (Is 6, 2), lorsqu’il avait eu la vision du trône de Dieu et des Séraphins clamant le Sanctus tout autour. Il avait été introduit dans la liturgie juive, dans l’office du matin. Ce Sanctus sera confirmé par l’Apocalypse (Ap 8, 4) à la fin du 1er siècle J-C. Les chrétiens l’introduiront dans la liturgie eucharistique comme chant d’acclamation à la fin de la 1ère partie de l’anaphore byzantine, de l’immolatio gallo-romaine, et de la préface romaine : ceci est attesté au milieu du IVe siècle8.
Le Trisagion ne remplacera pas le Sanctus : il sera ajouté à la liturgie, dans le rite byzantin après les tropaires, qui suivent la petite entrée, et dans le rite des Gaules, au début de la liturgie, après la 1ère bénédiction sacerdotale. Dans ce rite, il est chanté en trois langues, parce que les Lettres de St Germain de Paris (VIe s.) précisent qu’il doit être chanté en grec et en latin : lors de la restauration du rite, en 1945, on a évidemment ajouté le français. Il a été dès l’origine un chant populaire : il était entonné par le patriarche, à l’autel, et tout le peuple reprenait avec lui.
Par ailleurs, compte tenu de son importance théologique, il sera introduit dans tous les
offices des Heures (l’office divin), à la fin de chaque office, et dans plusieurs sacrements (dans le rite byzantin et dans le rite des Gaules restauré).
Le Sanctus et le Trisagion sont deux fenêtres ouvertes sur la liturgie céleste, le point de jonction entre les deux : l’Église terrestre participe à la liturgie céleste. Comme l’enseignait l’évêque Jean de Saint-Denis, toute liturgie terrestre est un reflet de la liturgie céleste et est en relation avec elle. C’est toute la création,visible et invisible, qui confesse et proclame la sainteté de Dieu, en Lui rendant grâces. La liturgie a un caractère eschatologique évident : nous y faisons déjà l’expérience du Royaume de Dieu, avec le monde angélique.
Contenu théologique
Le Trisagion ressemble beaucoup au Sanctus, puisque ces deux hymnes sont des chants angéliques proclamant la sainteté de Dieu, et de façon trinitaire. Mais il y a une différence entre les deux : le Sanctus biblique de l’Ancien Testament révélait la sainteté ineffable du Dieu unique, tout en annonçant en filigrane la Trinité (on répète 3 fois « Saint ») ; tandis que le Trisagion est une révélation explicite de la Trinité : il révèle que cette sainteté, liée à la nature divine -une- est partagée par les trois personnes, chacune étant qualifiée d’un nom qui lui est propre :
· Saint Dieu, le Père, source de tout, source même de la divinité (Père du Fils et source du Saint-Esprit) source unique, source sans source, principe sans principe
· Saint Fort, le Fils, parce qu’Il a révélé la puissance de Dieu dans la faiblesse de Sa nature humaine et qu’Il vaincu Satan, le péché et la mort
· Saint Immortel, le Saint-Esprit, parce qu’il est le « donateur de vie », Celui qui ressuscite l’Homme de la mort9 et le déifie.
Les trois sont saints et partagent la sainteté, car la nature divine est sainte, mais chaque Personne manifeste la sainteté divine selon Son caractère hypostatique. Le Trisagion constitue une véritable révélation théologique, un hymne trinitaire. Et pour accentuer son caractère trinitaire, le Trisagion est toujours chanté trois fois de suite (on chante donc 9 fois « Saint », ce qui correspond aux 9 cercles angéliques).
Ceci est spécifiquement orthodoxe. Lorsqu’on regarde la traduction en français du Trisagion dans des ouvrages catholiques-romains (« Dieu saint, saint et fort, saint et immortel »)10, on constate qu’ils n’ont pas perçu le caractère trinitaire de cet hymne angélique : c’est le fruit d’une théologie filioquiste.
Père Noël Tanazacq
Recteur de la Paroisse Sainte-Geneviève-Saint Martin
Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe occidentale et méridionale
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1 St Proclus de Constantinople : patriarche de 434 à 446. Il lutta contre le nestorianisme et ramena la paix dans l’Eglise de Constantinople après les troubles liés à la destitution et au martyre de St Jean Chrysostome.
2 Théodose II : empereur d’Orient de 408 à 450. L’empereur d’Occident était Valentinien III, de 424 à 455.
3 Dans les différents récits de cette histoire, il n’est pas précisé qu’il s’agisse des Séraphins (on dit « les anges ». Mais St Jean Damascène dit qu’il s’agit des Séraphins (cf. note 6), comme dans la vision d’Isaïe.
4 C’est d’autant plus remarquable que l’hérésie monophysite y sera condamnée. Or ce sont ces hérétiques qui feront un ajout monophysite au Trisagion (St…,St…,St…crucifié pour nous), qui sera condamné au concile « quinisexte » de 692, ne rassemblant que des évêques orientaux (canon 81), mais qui existe toujours chez les non-chalcédoniens. St Jean Damascène (VIIIe s.), qui a remarquablement commenté le Trisagion, dit que cet ajout est un « blasphème » [Foi orthodoxe III, 10].
5Les Impropères sont un chant du Vendredi Saint, dans lequel le Christ fait des reproches [improparium] à son peuple. Remarquable par son contenu théologique et sa mélodie, il est commun aux rites d’Orient et d’Occident, ce qui est assez rare.
6 On le qualifie de « séraphique » parce que, selon la vision d’Isaïe, il est chanté d’abord - on pourrait dire entonné - par les Séraphins, le 1er cercle angélique, qui le transmettent hiérarchiquement aux 8 autres cercles angéliques : il est ainsi repris et chanté par toutes les armées célestes. Ceci est très clairement exprimé dans la liturgie chrétienne, où le célébrant nomme la plupart des cercles angéliques, à la fin de la 1ère partie de l’anaphore. De plus « Seigneur Sabaoth » signifie « Dieu des armées célestes », c’est à dire des anges.
7 Les liturgistes l’appellent aussi parfois « Trisagion biblique », pour le distinguer du Trisagion liturgique.
8 Il est possible que cela eût lieu plus tôt, mais nous n’en avons l’attestation que dans l’Euchologe de Sérapion (Égypte, milieu du IVe s.) et les Constitutions apostoliques (Syrie occidentale, vers 380).
9 Ceci était expressément annoncé par le prophète Ézéchiel (VIe s. av. J-C) dans sa prophétie de la Résurrection (Ez 37/9-10) : Dieu ordonne au prophète de parler à l’Esprit afin qu’Il « souffle sur ces morts et qu’ils revivent »…Il prophétisa, « et l’Esprit entra en eux et ils reprirent vie ». et c’est confirmé vers l’an 1000 par St Syméon le Nouveau Théologien, qui, dans sa grande prière à l’Esprit-Saint, Lui dit : « Viens, résurrection des morts ».
10 Cette traduction inexacte se trouve même chez Pierre Lebrun (XVIIe s.) et Dom Guéranger (XIXe s.), qui sont deux éminents liturgistes. Dans l’office romain du Vendredi Saint le Trisagion était chanté, avant Vatican II, en grec et en latin : il n’y avait alors aucune ambiguïté.