Georges Rouault. Pay­sages connus ou imaginaires

Claude De­bus­sy (1862-1918), Rê­ve­rie
Fran­çois-Joël Thiol­lier, pianiste

Georges Rouault (1871-1957)
Route, peu­pliers et so­leil cou­chant (1949)
Mu­sée d’Art mo­derne, Paris 

Vil­lage pa­les­ti­nien (1949)
Mu­sée d’Art mo­derne, Paris 

Hi­ver I (1910)
Mu­sée d’Art mo­derne, Paris 

Bien que le peintre se soit in­té­res­sé soixante ans du­rant au thème du pay­sage, de ses pre­mières toiles en 1891 jus­qu’à sa mort en 1958, il reste sur­tout connu pour ses fi­gures de filles, de juges, de clowns, et ses œuvres d’ins­pi­ra­tion religieuse.

Élève « pré­fé­ré » de Gus­tave Mo­reau, il se­ra conser­va­teur du fa­meux mu­sée-ate­lier que Mo­reau lé­gua à l’État et n’­hé­si­ta pas à af­fir­mer son ad­mi­ra­tion pour ses aî­nés tout en af­fi­chant une li­ber­té de style lais­sant sa per­son­na­li­té s’af­fir­mer puissamment.

Ses pre­mières sé­ries de pay­sages at­testent de la fas­ci­na­tion du jeune pa­ri­sien pour les maîtres an­ciens : Pous­sin, Le Lor­rain, mais aus­si Rem­brandt, Goya ou en­core Co­rot. « La poé­sie de Co­rot em­bel­lit la ma­jes­té d’un pay­sage or­don­né à la Pous­sin » écrit Ro­ger Marx. Au dé­but du siècle, il exé­cute gé­né­ra­le­ment à l’a­qua­relle, au pas­tel ou au fu­sain de nom­breux pay­sages qui sont appréciés.

Si cer­taines œuvres re­pré­sentent des lieux que l’ar­tiste a fré­quen­tés et ai­més (« La Seine », 1901 ; « La Pé­niche », 1909 ; « Ban­lieue pa­ri­sienne », 1912), d’autres re­lèvent pu­re­ment de l’i­ma­gi­naire, comme les pay­sages dits bi­bliques, lé­gen­daires ou chré­tiens.

Dans les an­nées 1910, les ban­lieues vides aux arbres dé­nu­dés fi­gés dans un es­pace in­dé­ter­mi­né que ne tra­versent, par­fois, que de pe­tits per­son­nages cour­bés donnent une co­lo­ra­tion so­ciale à ses vues ; elles rap­pellent les émi­grants et fu­gi­tifs d’un Dau­mier : même to­na­li­té sourde et ter­reuse, sil­houettes er­rantes de lais­sés-pour-compte. Mais, alors que Dau­mier exa­cerbe avec un cer­tain ly­risme la peine et la souf­france, Rouault évoque avec re­te­nue le drame hu­main dans son uni­ver­sa­li­té (« Hi­ver », 1913).

La pé­riode de l’Entre-deux-guerres voit ses pay­sages évo­luer vers des pas­to­rales chré­tiennes, al­liant com­po­si­tion ri­gou­reuse et cou­leurs éblouis­santes. Au cours des an­nées 40, Rouault, dont l’ins­pi­ra­tion de­vient se­reine, presque mys­tique, peint des œuvres à la forte di­men­sion spi­ri­tuelle dans une ma­tière épaisse et nour­rie où re­viennent do­mi­ner les bleus : « La Fuite en Égypte », 1938 ; « Pas­to­rale chré­tienne », 1945.

« Les pay­sages sa­crés sont des pas­to­rales bi­bliques, orien­tales par­fois. Des astres ful­gu­rants sombrent dans des ciels bleus de nuit. De pe­tits per­son­nages errent de-ci, de-là, au bord d’un fleuve, sur une vague route, entre des construc­tions sans âge ni style. Ils n’ont pas de nimbe, mais leur sain­te­té ne fait au­cun doute. Ils se penchent l’un vers l’autre et se mur­murent dans le soir des pa­roles im­por­tantes. » (Georges Chabot)

Contem­po­rain du fau­visme, de l’ex­pres­sion­nisme et du cu­bisme, Georges Rouault n’a ja­mais re­ven­di­qué l’ap­par­te­nance à l’un de ces mou­ve­ments ; sou­vent consi­dé­ré comme peintre « re­li­gieux » il se ré­vèle au­jourd’­hui avant tout comme un ar­tiste libre et in­dé­pen­dant, pui­sant son ins­pi­ra­tion dans la réa­li­té la plus im­mé­diate comme dans la spi­ri­tua­li­té la plus élevée.