Ro­gier van der Wey­den. Le Ju­ge­ment Dernier

Gio­van­ni Ga­brie­li (1557-1612), Exau­di me Do­mine
Huel­gas En­semble, dir. Paul Van Nevel 

Ro­gier van der Wey­den (1399 – 1464)
Po­lyp­tyque du Ju­ge­ment Der­nier (1446-1452)
Mu­sée de l’Hôtel Dieu, Beaune 


Le po­lyp­tyque du Juge­ment Der­nier est la plus grande œuvre de Ro­gier van der Wey­den. Et, au même titre que L’A­gneau Mys­tique des frères van Eyck, c’est l’un des chefs d’œuvres ab­so­lus de l’âge d’or de la pein­ture flamande.

His­toire d’un tableau

Le chan­ce­lier Ni­co­las Ro­lin (1376-1462), un des hommes les plus riches et les plus puis­sants de son époque, a com­man­dé le re­table pour l’­hô­pi­tal de Beaune qu’il avait fon­dé en Bour­gogne en 1443 avec sa troi­sième épouse, la dé­vote Gui­gonne de Sa­lins, pour le sa­lut de leurs âmes… et pour s’oc­cu­per aus­si bien des pauvres que des malades.

Le re­table était pré­vu pour la cha­pelle qui se te­nait à l’ex­tré­mi­té de la salle de l’­hô­pi­tal. Le « grand hall des pauvres » de l’­Hô­tel-Dieu à Beaune, vaste nef ou­verte pou­vait conte­nir une tren­taine de lits le long de ses deux longs murs de 72 mètres de long. Pla­cée à une ex­tré­mi­té de cet es­pace, der­rière l’au­tel, dans une cha­pelle sé­pa­rée de la nef par une cloi­son de bois amo­vible par la­quelle les pa­tients pou­vaient suivre le ser­vice di­vin de leurs lits, l’œuvre né­ces­si­tait des di­men­sions consi­dé­rables afin que les ma­lades puissent la voir de loin.

Ou­vert, Le re­table du ju­ge­ment der­nier rap­pe­lait clai­re­ment au ma­lade sa fin mor­telle et l’ap­pe­lait ain­si à tour­ner son es­prit vers Dieu. Plus pra­tique aus­si, le ta­bleau rap­pe­lait au ma­lade que le soin spi­ri­tuel est aus­si im­por­tant que le soin de son corps. Et ce d’au­tant plus que, dans la pen­sée au temps, seuls ceux qui se trouvent dans un état de grâce spi­ri­tuelle pou­vaient re­trou­ver la santé.

Aus­si long­temps que le po­lyp­tyque a été ac­cro­ché dans la cha­pelle, il était tra­di­tion­nel­le­ment ou­vert le di­manche et jours des fêtes so­len­nelles. Il y a quelques an­nées, les pan­neaux ont été sciés dans l’é­pais­seur du bois et avant et re­vers sont main­te­nant ex­po­sés si­mul­ta­né­ment, côte à côte.

L’An­non­cia­tion
Les do­na­teurs Ni­co­las Ro­lin et son épouse Gui­gone de Sa­lins
Saints Sé­bas­tien et An­toine, pa­trons des Hos­pices de Beaune 

Re­cons­ti­tué, il a été dé­pla­cé dans une salle voi­sine qui est cli­ma­ti­sée pour em­pê­cher toute autre dé­té­rio­ra­tion due à la cha­leur pro­duite par les trois cents mille vi­si­teurs qui viennent le voir tous les ans.

Com­po­si­tion

Le po­lyp­tyque peint par Ro­gier Van der Wey­den et son ate­lier se com­pose de quinze pan­neaux de dif­fé­rentes tailles. De chaque cô­té des fi­gures cen­trales du Christ et de l’ar­change Mi­chel, la com­po­si­tion se ré­par­tie sur deux ni­veaux. Celle du des­sus est nim­bée dans un nuage d’or, sur le­quel sont as­sis les apôtres, juges dans le tri­bu­nal cé­leste, aus­si bien qu’un pape, un évêque, un roi, un moine et trois femmes. Au-des­sous d’eux est la terre, dont les âmes res­sus­ci­tées émergent, pour al­ler vers la ma­lé­dic­tion ou le bon­heur éternel.

Le pan­neau cen­tral est do­mi­né par le fils de Dieu, as­sis sur un arc-en-ciel qui dé­borde sur les pan­neaux de cha­cun des cô­tés avec la Vierge Ma­rie à une ex­tré­mi­té de l’arc et saint Jean-Bap­tiste de l’autre. Les pieds du Christ re­posent sur une sphère, sym­bole de l’u­ni­vers. Avec sa main droite, il bé­nit ceux qui sont sau­vés et, avec la main gauche, mau­dit ceux qui sont dam­nés. Ces deux gestes sont sou­li­gnés par des em­blèmes ap­pro­priés, res­pec­ti­ve­ment, un lis et une épée de flamme.

Sous le Christ se tient saint Mi­chel, prince du ju­ge­ment cé­leste. Il est dé­peint jeune, parce qu’il est im­mor­tel et beau, parce qu’il est l’in­car­na­tion de la jus­tice di­vine. Il tient dans ses mains une ba­lance dans la­quelle il pèse les âmes. Les âmes sont re­pré­sen­tées par deux pe­tites fi­gures nues, dont les noms sont « Ver­tu » et « Pé­chés ». La pre­mière est age­nouillée et heu­reuse alors que l’autre semble hor­ri­fié et crie de terreur.

La ran­gée in­fé­rieure dé­peint les élus et les dam­nés. Ils sont re­pré­sen­tés par deux pe­tits groupes de fi­gures. Ils sont nus et dé­peints sur une échelle plus pe­tite, plus hu­maine que celle des saints au-des­sus d’eux. Ils sont inexo­ra­ble­ment pous­sés vers leur destin.

L’horreur dans les abîmes de l’Enfer
Jean-Bap­tiste le pré­cur­seur et An­dré le pro­tec­teur
Paul le mes­sa­ger (en vert) 

Les dam­nés sont écra­sés sous le poids de leurs pé­chés. Ils sortent pé­ni­ble­ment d’une terre sèche cra­que­lée, en­tou­rés par des étin­celles de feu et des traî­nées de fu­mée. Les fi­gures des dam­nés sont tor­tu­rées et dé­for­mées par la haine et leurs vi­sages tor­dus par fo­lie. Sai­si par une hys­té­rie col­lec­tive, ils ne peuvent pas pleu­rer mais, à la place, crient et com­battent, car leur fo­lie les des­tine à la pu­ni­tion éter­nelle. L’en­fer manque étran­ge­ment de diables. Il est sim­ple­ment re­pré­sen­té par des amas de roches noires ré­pan­dant des flammes et des va­peurs volcaniques.

La joie dans la Jé­ru­sa­lem nou­velle
Ma­rie pleine de grâce
Pierre, socle de l’Église (en rouge) 

En re­vanche, du cô­té op­po­sé et plus on se rap­proche du pa­ra­dis, les fleurs sont de plus en plus abon­dantes. Le groupe, gui­dé par un ange, est sur le point de mon­ter au ciel. A l’ex­trême gauche du po­lyp­tyque, le pa­ra­dis est re­pré­sen­té comme un porche go­thique en feu avec la lu­mière qui mène au divin.

Ci­né-Club, Caen


Exau­di me Do­mine,
dum co­gi­to me­cumde die illa tre­men­da,
quan­do cæ­li mo­ven­di sunt et ter­ra,
dum ve­ne­ris iu­di­care sæ­cu­lum per ignem.

Tre­mens fac­tus sum ego et ti­meo
dum iu­di­cium ade­rit atque ven­tu­ra ira,
quan­do cæ­li mo­ven­di sunt et terra.

Parce pie Deus, do­na mi­hi ve­niam
de tot sce­le­ri­bus qui­bus pec­ca­vi
quan­do cæ­li mo­ven­di sunt et terra.

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Écoute-moi, Sei­gneur,
alors que je mé­dite sur le jour ter­rible et re­dou­table,
lorsque terre et ciel s’ébranleront,
et que tu vien­dras ju­ger les temps par le feu.

Je tremble et je suis dans la crainte
du ju­ge­ment et de la co­lère qui ap­prochent,
lorsque terre et ciel s’ébranleront.

Aie pi­tié, Sei­gneur, par­donne-moi
pour les nom­breux pé­chés que j’ai com­mis,
lorsque terre et ciel s’ébranleront.