Saint Au­gus­tin. Ton au­jourd’­hui, l’éternité

Au­gus­tin dis­pu­tant avec Faus­tus de Mi­leve
et les Ma­ni­chéens, dé­tail, XIIe s.
Bi­blio­thèque Ma­za­rine, Paris 

Si quelque es­prit lé­ger s’é­gare dans les vaines ima­gi­na­tions de temps an­té­rieurs, et s’é­tonne que toi, Dieu tout-puis­sant, créa­teur et conser­va­teur de toutes choses, ar­chi­tecte du ciel et de la terre, sois de­meu­ré dans l’i­nac­tion pen­dant des siècles in­nom­brables avant d’en­tre­prendre ce mer­veilleux ou­vrage, qu’il se ré­veille et ne s’é­tonne que de ses propres illu­sions. Pou­vaient-ils en ef­fet s’é­cou­ler, ces siècles in­nom­brables, que tu n’a­vais pas faits, ô mon Dieu, toi l’au­teur et le créa­teur de tous les siècles ? Ou bien, qu’au­raient pu être ces temps que tu n’au­rais point créés ? Ou en­core, com­ment se se­raient-ils écou­lés, s’ils n’a­vaient ja­mais été ?

Puisque tu es le créa­teur de tous les temps, si l’on sup­pose quelque temps avant la créa­tion du ciel et de la terre, pour­quoi dit-on que tu étais en re­pos ? Car ce temps même c’est toi qui en étais l’au­teur, et les temps n’ont pu s’é­cou­ler avant que tu eusses fait le temps. Si donc avant le ciel et la terre il n’exis­tait au­cun temps, pour­quoi de­man­der ce que tu fai­sais alors ? Il ne pou­vait y avoir d’a­lors là où il n’y avait point de temps.

D’ailleurs, ce n’est point par le temps que tu pré­cèdes les temps, au­tre­ment, tu ne se­rais pas avant tous les temps. Mais tu pré­cèdes tous les temps pas­sés du haut de ton éter­ni­té tou­jours pré­sente ; tu es au-des­sus de tous les temps à ve­nir, parce qu’ils sont à ve­nir, et qu’à peine se­ront-ils ve­nus, qu’ils se­ront pas­sés ; pour toi tu es tou­jours le même, et tes an­nées ne s’é­va­nouissent point. (Psaume CI.)

Tes an­nées ne vont ni ne viennent ; nos an­nées, au contraire, vont et viennent, et pour que toutes se suc­cèdent les unes aux autres. Toutes tes an­nées sont im­mo­biles, parce qu’elles existent toutes à la fois ; les unes ne sont pas pous­sées par les autres parce qu’elles ne passent pas ; au lieu que les nôtres ne se­ront toutes ac­com­plies que lors­qu’elles ne se­ront plus.

Tes an­nées ne sont qu’un jour, et ton jour n’est pas une suite de jours ; il est au­jourd’­hui, et ton au­jourd’­hui ne cède point la place à un len­de­main ; car il ne suc­cède pas à la veille. Ton au­jourd’­hui, c’est l’é­ter­ni­té ; voi­là pour­quoi tu as en­gen­dré un Fils co­éter­nel à toi, ce­lui à qui tu as dit : Je t’ai en­gen­dré au­jourd’­hui. (Psaume II.) Tu as fait tous les temps, et tu es avant tous les temps, et il n’y avait point de temps quand le temps n’é­tait pas encore.

Saint Au­gus­tin (354-430), Confes­sions, L XI, ch. XIII, 15-16
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