Épic­tète. l’o­pi­nion de cha­cun et la vérité

Voi­ci le point de dé­part de la phi­lo­so­phie : la conscience du conflit qui met aux prises les hommes entre eux, la re­cherche de l’o­ri­gine de ce conflit, la condam­na­tion de la simple opi­nion et la dé­fiance à son égard, une sorte de cri­tique de l’o­pi­nion pour dé­ter­mi­ner si on a rai­son de la te­nir, l’in­ven­tion d’une norme, de même que nous avons in­ven­té la ba­lance pour la dé­ter­mi­na­tion du poids, ou le cor­deau pour dis­tin­guer ce qui est droit et ce qui est tordu.

Est-ce là le point de dé­part de la phi­lo­so­phie : est juste tout ce qui pa­raît tel à cha­cun ? Et com­ment est-il pos­sible que les opi­nions qui se contre­disent soient justes ? Par consé­quent, non pas toutes. Mais celles qui nous pa­raissent à nous justes ? Pour­quoi à nous plu­tôt qu’aux Sy­riens, plu­tôt qu’aux Égyp­tiens ? Plu­tôt que celles qui pa­raissent telles à moi ou à un tel ? Pas plus les unes que les autres. Donc l’o­pi­nion de cha­cun n’est pas suf­fi­sante pour dé­ter­mi­ner la vérité.

Nous ne nous conten­tons pas non plus quand il s’a­git de poids ou de me­sures de la simple ap­pa­rence, mais nous avons in­ven­té une norme pour ces dif­fé­rents cas. Et dans le cas pré­sent, n’y a-t-il donc au­cune norme su­pé­rieure à l’o­pi­nion ? Et com­ment est-il pos­sible qu’il n’y ait au­cun moyen de dé­ter­mi­ner et de dé­cou­vrir ce qu’il y a pour les hommes de plus né­ces­saire ? Il y a donc une norme. Alors, pour­quoi ne pas la cher­cher et ne pas la trou­ver, et après l’a­voir trou­vée, pour­quoi ne pas nous en ser­vir par la suite ri­gou­reu­se­ment, sans nous en écar­ter d’un pouce ? Car voi­là, à mon avis, ce qui, une fois trou­vé, dé­li­vre­ra de leur fo­lie les gens qui se servent en tout d’une seule me­sure, l’o­pi­nion, et nous per­met­tra, dé­sor­mais, par­tant de prin­cipes connus et clai­re­ment dé­fi­nis, de nous ser­vir, pour ju­ger des cas par­ti­cu­liers, d’un sys­tème de prénotions.

Épic­tète (50-125), En­tre­tiens, II, XI
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