Sig­mund Freud. La vio­lence na­tu­relle des hommes

An­dy Wa­rhol (1928-1987)
Sig­mund Freud
Jews of the XX Cen­tu­ry, 1980 

Cette ten­dance à l’a­gres­sion, que nous pou­vons dé­ce­ler en nous-mêmes et dont nous sup­po­sons à bon droit l’exis­tence chez au­trui, consti­tue le fac­teur prin­ci­pal de per­tur­ba­tion dans nos rap­ports avec notre pro­chain ; c’est elle qui im­pose à la ci­vi­li­sa­tion tant d’efforts.

Par suite de cette hos­ti­li­té pri­maire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la so­cié­té ci­vi­li­sée est constam­ment me­na­cée de ruine. L’in­té­rêt du tra­vail so­li­daire ne suf­fi­rait pas à la main­te­nir : les pas­sions ins­tinc­tives sont plus fortes que les in­té­rêts ra­tion­nels. La ci­vi­li­sa­tion doit tout mettre en œuvre pour li­mi­ter l’a­gres­si­vi­té hu­maine et pour en ré­duire les ma­ni­fes­ta­tions à l’aide de ré­ac­tions psy­chiques d’ordre éthique.

De là, cette mo­bi­li­sa­tion de mé­thodes in­ci­tant les hommes à des iden­ti­fi­ca­tions et à des re­la­tions d’a­mour in­hi­bées quant au but ; de là cette res­tric­tion de la vie sexuelle ; de là aus­si cet idéal im­po­sé d’ai­mer son pro­chain comme soi-même, idéal dont la jus­ti­fi­ca­tion vé­ri­table est pré­ci­sé­ment que rien n’est plus contraire à la na­ture hu­maine pri­mi­tive. Tous les ef­forts four­nis en son nom par la ci­vi­li­sa­tion n’ont guère abou­ti jus­qu’à pré­sent. Elle croit pré­ve­nir les ex­cès les plus gros­siers de la force bru­tale en se ré­ser­vant le droit d’en user elle-même contre les cri­mi­nels, mais la loi ne peut at­teindre les ma­ni­fes­ta­tions plus pru­dentes et plus sub­tiles de l’a­gres­si­vi­té hu­maine. Il est tou­jours pos­sible d’u­nir les uns aux autres par les liens de l’a­mour une plus grande masse d’­hommes, à la seule condi­tion qu’il en reste d’autres en de­hors d’elle pour re­ce­voir les coups.

Sig­mund Freud (1856-1939), Ma­laise dans la Ci­vi­li­sa­tion
Bio­gra­phie