
Saint Augustin tenant un livre
Missel franciscain, XVe s.
BM Lyon
« Je suis la voix qui crie dans le désert.» Par cette parole, Jean se déclare la voix. Jean est la voix. Et qu’est le Christ, sinon la Parole ? La voix doit d’abord se faire entendre pour qu’ensuite la parole soit comprise. Mais de quelle parole s’agit-il ? Écoute, il te le montre clairement : « Au commencement était la Parole et la Parole était près de Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout fut par elle et sans elle rien ne fut. » Tout a été fait par la Parole, et Jean aussi. Quoi d’étonnant si la Parole s’est faite une voix ! Regarde : vois sur les rives du fleuve la Voix et la Parole : la Voix, c’est Jean, la Parole c’est le Christ.
Cherchons donc ce qui fait la différence entre voix et parole. Cherchons avec attention, car c’est important, il faut nous y arrêter. Voici donc deux choses : la voix et la parole. Qu’est-ce qu’une voix ? Qu’est-ce qu’une parole ? Si une parole n’avait pas de sens, ce ne serait pas une parole. Lorsqu’une voix ne fait que résonner sans faire entendre de sens, comme le son que fait entendre quelqu’un qui crie sans parler, c’est une voix, ce n’est pas une parole. Je ne sais qui a gémi, c’est une voix ; il a poussé des cris de douleur, c’est une voix. Si tu cries, c’est une voix. Mais si tu dis : « Homme », c’est une parole ; de même si tu dis : « Troupeau, Dieu, monde » ou autre chose. Car j’ai dit de toute parole qu’elle veut dire quelque chose : il ne s’agit pas de vains sons qui n’apprennent rien.
Or en moi, dans le centre de mon cœur, dans le secret de mon âme, la parole est antérieure à la voix. La voix ne résonne pas encore dans ma bouche, et déjà la parole est née dans mon cœur. Mais pour que parvienne jusqu’à toi ce que j’ai conçu dans mon cœur, j’ai besoin de l’aide de la voix. Je sais ce que je veux dire, je l’ai présent à mon esprit, je cherche le terme pour l’exprimer ; avant que mes lèvres ne fassent entendre aucun son, la parole existe au-dedans de moi-même. La parole précède donc ma voix ; en moi vient d’abord la parole, ensuite la voix. Mais chez toi au contraire, ma voix doit venir d’abord frapper ton oreille pour que tu me comprennes, pour faire pénétrer la parole dans ton esprit. Si donc Jean est la Voix et le Christ la Parole, le Christ existe avant Jean, mais du point de vue de Dieu, par contre le Christ vient après Jean, mais de notre point de vue. C’est un grand mystère, frères ! Prêtez-y attention, scrutez de plus en plus la profondeur de cette vérité.
Dans ce mystère, Jean personnifie la voix, mais Il n’est pas seul à être la voix. Tout homme qui annonce la Parole est la voix de la Parole. Ce qu’est le son qui sort de notre bouche par rapport à la parole que nous portons dans notre cœur, toute âme aimante qui annonce la Parole l’est par rapport à cette Parole qui « était au commencement près de Dieu ». Combien de paroles, ou plutôt combien de voix fait entendre la Parole conçue par notre cœur ! Combien de prédicateurs ont fait entendre la Parole demeurant auprès du Père ! Elle envoya les Patriarches, elle envoya les Prophètes, elle envoya tant et tant de hérauts pour l’annoncer !
La Parole demeurant près du Père envoya toutes ces voix et après ces voix envoyées devant elle, la Parole unique est venue en personne, comme portée par les ondes, dans sa voix, dans sa chair. Rassemble donc toutes ces voix qui précédèrent la Parole, réunis-les toutes dans la personne de Jean. Il portait la signification secrète et profonde de toutes ces voix. À lui seul, il en était la personnification mystérieuse et symbolique. C’est pourquoi il s’est dénommé avec raison : « la Voix », car il était comme le signe visible et le symbole de toutes les autres voix.
Saint Augustin (354-430), Sermon 288
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