Saint An­selme. La non-exis­tence de Dieu ?

Saint An­selme de Can­ter­bu­ry
Ox­ford, Bo­dleian Library 

Cet être su­prême existe si bien qu’il est im­pos­sible de conce­voir sa non-exis­tence. En ef­fet, on peut avoir l’i­dée de quelque chose qui existe né­ces­sai­re­ment et d’une ma­nière ab­so­lue ; or ce mode d’exis­tence est su­pé­rieur à ce­lui qui ca­rac­té­rise les êtres contin­gents. Si donc on pou­vait conce­voir la non-exis­tence de l’être su­prême et faire de lui un être contin­gent, la pen­sée se­rait libre de conce­voir au-des­sus de lui quelque chose dont l’exis­tence se­rait né­ces­saire ; par consé­quent il ne se­rait plus l’être par ex­cel­lence, ce qui im­plique contra­dic­tion. Il existe donc un être su­prême, et cet être su­prême existe si bien que la pen­sée ne peut conce­voir sa non-existence.

C’est vous qui êtes cet être par ex­cel­lence, mon Sei­gneur et mon Dieu ; et vous exis­tez avec tant de plé­ni­tudes et de vé­ri­té qu’il est im­pos­sible de com­prendre que vous n’exis­tiez point ; et c’est jus­tice. Si la pen­sée hu­maine pou­vait avoir l’i­dée d’un être su­pé­rieur à vous, la créa­ture s’é­lè­ve­rait au-des­sus du Créa­teur et le ju­ge­rait du haut de son or­gueil, consé­quence ab­surde et mons­trueuse qui dé­truit la sup­po­si­tion dont elle est née. Tous les êtres, ex­cep­té vous, n’ont qu’une exis­tence ac­ci­den­telle et in­com­plète, puisque la pen­sée peut les sup­po­ser anéan­tis. Seul vous avez la pleine et vé­ri­table exis­tence, puisque vous êtes l’être né­ces­saire et ab­so­lu. Pour­quoi donc « l’in­sen­sé » a-t-il dit dans son cœur : « Dieu n’existe point » quand la rai­son af­firme que vous êtes le seul être qui pos­sé­diez l’exis­tence vé­ri­table et com­plète ? Pour­quoi, si ce n’est parce qu’il est pri­vé de rai­son, parce qu’il est « insensé » ?

St An­selme de Can­tor­bé­ry (1033-1109), Pros­lo­gion, ch. III
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