
George Glover (*1618)
Portrait de saint Anselme, XVIIe s.
The National Portrait Gallery, London
Allons, courage, pauvre homme ! Fuis un peu tes occupations, dérobe-toi un moment au tumulte de tes pensées. Rejette maintenant les pesants soucis et laisse de côté tes occupations pénibles. Donne un petit instant à Dieu et repose-toi en lui. Entre dans la chambre de ton esprit, n’y laisse rien entrer, sauf Dieu ou ce qui t’aide à le chercher, et porte fermée, cherche-le. Dis maintenant, mon cœur, dis à Dieu : Je cherche ton visage ; c’est ton visage, Seigneur, que je cherche.
Et maintenant, toi, Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment te chercher, où et comment te trouver. Seigneur, si tu n’es pas ici, où te chercherai-je absent ? Et si tu es partout, pourquoi ne puis-je te voir présent ? Certes, tu habites une lumière inaccessible. Mais où est la lumière inaccessible ? Et comment accéderai-je à cette inaccessible lumière ? Qui m’y conduira et me plongera en elle pour que je t’y voie ? Par quels signes enfin chercherai-je ton visage ? Jamais je ne t’ai vu, Seigneur mon Dieu, je ne connais pas ton visage. Que peut faire, très haut Seigneur, que peut faire cet exilé qui est tien, et qui est si loin ? Que peut faire ton serviteur anxieux de ton amour et rejeté loin de ta face ? Il aspire à te voir, et ton visage se dérobe entièrement à lui. Il désire te rejoindre, et ta demeure est inaccessible. Il souhaite te trouver, et il ne sait où tu es. Il entreprend de te chercher et il ignore ton visage. Seigneur, tu es mon Dieu, tu es mon Maître, et je ne t’ai jamais vu. Tu m’as créé et recréé, tu m’as pourvu de tous mes biens, et je ne te connais pas encore. Bref, tu m’as fait pour te voir, et je n’ai pas encore fait ce pourquoi j’ai été fait. Misérable sort de l’homme qui a perdu ce pour quoi il a été créé !
Et toi, Seigneur, jusques à quand ? Jusques à quand, Seigneur, nous oublieras-tu ? Jusques à quand détourneras-tu de nous ton visage ? Quand nous regarderas-tu et nous exauceras-tu ? Quand éclaireras-tu nos yeux et nous montreras-tu ta face ? Quand reviendras-tu à nous ? Regarde-nous, Seigneur, éclaire-nous, montre-toi à nous. Rends-toi à nous pour que nous nous portions bien, nous qui, sans toi, allons si mal. Aie pitié de nos laborieux efforts vers toi, nous qui sans toi ne valons rien. Tu nous invites, aide-nous donc ! Je t’en prie, Seigneur, que je ne désespère pas en soupirant, mais que je respire en espérant. Je t’en supplie, Seigneur, ma désolation rend mon cœur amer, rends-le doux par ta consolation ! Seigneur, courbé, je ne puis que regarder vers le bas. Redresse-moi pour que je puisse me tendre vers le haut. Qu’il me soit permis de pressentir ta lumière, au moins de loin, au moins des profondeurs. Apprends-moi à te chercher et montre-toi à qui te cherche, car je ne puis te chercher si tu ne me guides, ni te trouver si tu ne te montres. Je te cherche en te désirant et te désire en te cherchant. Que je te trouve en t’aimant et que je t’aime en te trouvant !
St Anselme de Cantorbéry (1033-1109), Proslogion, ch. I
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