
À un certain niveau de lecture, les apparitions du Seigneur semblent structurées selon le type : initiative, reconnaissance, mission. Les récits évangéliques sont unanimes : c’est Jésus qui intervient auprès ou au milieu de gens qui ne s’y attendaient pas. L’intention est claire : montrer que l’expérience n’est pas le résultat d’une invention des intéressés, produite par une foi exacerbée ou par une imagination débridée. Cette présentation souligne l’aspect passif des apparitions ; les récits mettent en valeur que l’initiative appartient au Ressuscité.
La seconde caractéristique des récits est le thème de la reconnaissance. Les disciples découvrent l’identité de l’être qui s’impose à eux : c’est ce Jésus de Nazareth dont ils ont connu la vie et la crucifixion ; celui qui mourut est vivant. Davantage, comme dit Luc, c’est toute l’Écriture qui, en Jésus, se récapitule et trouve son sens. En lui, la prophétie s’accomplit. D’une certaine manière, les disciples n’ont plus rien à attendre ni à voir dans l’avenir : tout leur est donné dans le Ressuscité.
Le mode de cette reconnaissance est progressif : dans l’homme qui vient à eux, les disciples voient d’abord un personnage ordinaire, un voyageur, un jardinier, puis ils « reconnaissent » le Seigneur. Cette reconnaissance est libre, car, selon le thème de l’incrédulité qui appartient à l’ensemble de la tradition évangélique, ils auraient pu refuser de croire. Enfin souvent le constat est collectif, facilitant par-là le contrôle mutuel. Il est probable que, dans la description de ce mode de reconnaissance, il y eut travail littéraire, recherche d’une expression de mieux en mieux ajustée ; toutefois, on ne peut attribuer le thème de la reconnaissance à l’apologétique ni à la théologie.
Les apparitions ne se ramènent pas à la simple reconnaissance « visuelle » de celui qu’on avait connu jadis ; elles ouvrent aussi, sous un aspect « auditif », la relation à l’avenir qui doit commander désormais l’existence des disciples. Si, en reconnaissant le Seigneur, les disciples anticipent la vision qui sera l’apanage du ciel, ils sont aussi ramenés à la condition terrestre de l’audition de la Parole. Ils se tournent en fait vers Jésus de Nazareth, vers un passé dont ils admirent l’accomplissement dans le Christ vivant, ils sont invités à regarder aussi vers l’avenir où devront s’exprimer et se déployer les richesses d’un présent contenu dans le Ressuscité.
C’est d’abord l’appel à continuer l’œuvre de Jésus, la mission proprement dite, que rend possible la promesse de l’Esprit Saint ou son don immédiat. La mission n’est donc pas simple continuité de l’activité prépascale de Jésus de Nazareth, mais elle est assomption et transfiguration de cette œuvre par la présence et l’activité de l’Esprit Saint.
Conformément à l’enseignement de Jésus dans l’apocalypse synoptique, il n’y a plus de signes à voir dans l’avenir ; le regard doit se porter sur l’événement passé qui seul donne à l’avenir son sens. La circularité dynamique de ces trois aspects, peut être représentée sous un schème temporel. Par son initiative, qui est celle de Dieu même, le Ressuscité renouvelle sans cesse le présent du disciple qui est alors invité à assumer le passé en la personne de Jésus de Nazareth, et celui-ci lui donne de construire l’avenir qui est l’Église.
XavieXavier Léon-Dufour (1912-2007), Résurrection de Jésus et message pascal
Biographie
Xavier-Léon Dufour s’est engagé très tôt : sa décision de devenir prêtre date de ses 17 ans. Il est alors entré au scolasticat jésuite où le parcours est très long, mais le sien le sera plus encore car il ne prononcera ses vœux qu’en 1947, à Rome. La raison : sans doute la guerre, car il s’engage dans le réseau de résistance Sud-Ouest. Il passe l’essentiel de sa carrière d’enseignant à l’université jésuite de Paris, le Centre Sèvres, parallèlement à des fonctions éditoriales au Seuil et au Cerf. Il participe également aux vifs échanges post-conciliaires. Il livre son premier ouvrage en 1954, L’Evangile et les évangiles, suivi d’une Concordance des évangiles synoptiques puis en 1962 d’un autre outil essentiel, son Vocabulaire de théologie biblique, connu sous le nom de VTB par ses nombreux utilisateurs et complété en 1996 par un Vocabulaire du Nouveau Testament. Il consacre huit années à une Lecture de l’évangile selon Jean en quatre volumes. Sa dévotion pour Saint François Xavier lui inspire Saint François Xavier, itinéraire mystique de l’apôtre en 1996. Son dernier titre publié en 2003, quatre ans avant sa mort, résume sa démarche : Un bibliste cherche Dieu.