
Les récits évangéliques des apparitions sont des récits de communication. Avec un mort, aucune communication n’est plus possible : la mort est la cessation définitive de toute relation. Le mort peut vivre dans le souvenir, sa parole peut être source d’action : le prophète, le sage, l’être aimé vivent dans la mémoire des hommes ; mais ils ne sont plus là pour reprendre leur parole, celle-ci est désormais la possession de ceux qui se souviennent. Jésus est mort : sa parole sur le royaume demeure prisonnière de sa mort. Les disciples se la rappellent sur le chemin d’Emmaüs, ils s’en souviennent comme d’une espérance inouïe, mais aussi comme d’une déception totale et profonde.
Or l’expérience pascale consiste précisément dans la reprise de l’initiative par Jésus : « Il s’est présenté lui-même vivant. » Si les récits évangéliques soulignent le caractère quotidien, matériel des rencontres avec les Apôtres, c’est dans le but de manifester de façon claire et simple qu’il ne s’agit pas d’un souvenir qui évoque Jésus, mais Jésus s’impose, prend l’initiative, demeure maître de sa Parole antérieure, et, finalement, est le Seigneur de sa mort, puisqu’il permet de l’interpréter à partir de sa vie. La mort brise les relations, mais Jésus se présente aux Apôtres : Il fait éclater le carcan de la mort. Il est libre de communiquer quand Il veut. L’expérience pascale, c’est la communication et la relation restituées, dans une liberté insoupçonnée. Ce n’est pas le souvenir qui commande, Jésus n’est pas le prisonnier de notre mémoire, Il est le Vivant ; et parce qu’Il est le Vivant, Il est Promesse jusqu’à ce que s’accomplisse pour tous la communication, brisure de la mort.
Cette expérience apostolique est la racine de la foi chrétienne : le destin, la non-communication imposée définitivement par la mort, est détruit. Il n’est pas supprimé en imagination, non, c’est en réalité qu’il a cessé d’exister : Jésus s’est présenté lui-même vivant. L’expérience pascale consiste dans le fait que, contrairement à toute attente et à toute expérience, Jésus s’impose comme vivant aux Apôtres et ceci dans leur histoire. Sa vie terrestre et sa Croix en sont autrement illuminées : paroles, gestes, miracles, liberté à l’égard de la Loi, Passion, Crucifixion revêtent une signification qui n’était pas apparue aux disciples. Ils relisent l’Écriture avec d’autres yeux. Jésus avait annoncé le règne de Dieu, Il était le Prophète. Voici qu’Il est le Vivant, le Seigneur. Toute l’attention se déplace vers lui. La brisure qu’Il opère en libérant du destin n’est pas d’abord psychologique, mais objective. La communication rétablie, la relation réalisée transforment totalement la compréhension que l’homme prend de soi-même.
Christian Duquoc (1926-2008), Christologie. Le Messie
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