Chris­tian Du­quoc. Res­sus­ci­té, et donc vivant

Les ré­cits évan­gé­liques des ap­pa­ri­tions sont des ré­cits de com­mu­ni­ca­tion. Avec un mort, au­cune com­mu­ni­ca­tion n’est plus pos­sible : la mort est la ces­sa­tion dé­fi­ni­tive de toute re­la­tion. Le mort peut vivre dans le sou­ve­nir, sa pa­role peut être source d’action : le pro­phète, le sage, l’être ai­mé vivent dans la mé­moire des hommes ; mais ils ne sont plus là pour re­prendre leur pa­role, celle-ci est dé­sor­mais la pos­ses­sion de ceux qui se sou­viennent. Jé­sus est mort : sa pa­role sur le royaume de­meure pri­son­nière de sa mort. Les dis­ciples se la rap­pellent sur le che­min d’Emmaüs, ils s’en sou­viennent comme d’une es­pé­rance in­ouïe, mais aus­si comme d’une dé­cep­tion to­tale et profonde.

Or l’expérience pas­cale consiste pré­ci­sé­ment dans la re­prise de l’initiative par Jé­sus : « Il s’est pré­sen­té lui-même vi­vant. » Si les ré­cits évan­gé­liques sou­lignent le ca­rac­tère quo­ti­dien, ma­té­riel des ren­contres avec les Apôtres, c’est dans le but de ma­ni­fes­ter de fa­çon claire et simple qu’il ne s’agit pas d’un sou­ve­nir qui évoque Jé­sus, mais Jé­sus s’impose, prend l’initiative, de­meure maître de sa Pa­role an­té­rieure, et, fi­na­le­ment, est le Sei­gneur de sa mort, puisqu’il per­met de l’interpréter à par­tir de sa vie. La mort brise les re­la­tions, mais Jé­sus se pré­sente aux Apôtres : Il fait écla­ter le car­can de la mort. Il est libre de com­mu­ni­quer quand Il veut. L’expérience pas­cale, c’est la com­mu­ni­ca­tion et la re­la­tion res­ti­tuées, dans une li­ber­té in­soup­çon­née. Ce n’est pas le sou­ve­nir qui com­mande, Jé­sus n’est pas le pri­son­nier de notre mé­moire, Il est le Vi­vant ; et parce qu’Il est le Vi­vant, Il est Pro­messe jusqu’à ce que s’accomplisse pour tous la com­mu­ni­ca­tion, bri­sure de la mort.

Cette ex­pé­rience apos­to­lique est la ra­cine de la foi chré­tienne : le des­tin, la non-com­mu­ni­ca­tion im­po­sée dé­fi­ni­ti­ve­ment par la mort, est dé­truit. Il n’est pas sup­pri­mé en ima­gi­na­tion, non, c’est en réa­li­té qu’il a ces­sé d’exister : Jé­sus s’est pré­sen­té lui-même vi­vant. L’expérience pas­cale consiste dans le fait que, contrai­re­ment à toute at­tente et à toute ex­pé­rience, Jé­sus s’impose comme vi­vant aux Apôtres et ce­ci dans leur his­toire. Sa vie ter­restre et sa Croix en sont au­tre­ment illu­mi­nées : pa­roles, gestes, mi­racles, li­ber­té à l’égard de la Loi, Pas­sion, Cru­ci­fixion re­vêtent une si­gni­fi­ca­tion qui n’était pas ap­pa­rue aux dis­ciples. Ils re­lisent l’Écriture avec d’autres yeux. Jé­sus avait an­non­cé le règne de Dieu, Il était le Pro­phète. Voi­ci qu’Il est le Vi­vant, le Sei­gneur. Toute l’attention se dé­place vers lui. La bri­sure qu’Il opère en li­bé­rant du des­tin n’est pas d’abord psy­cho­lo­gique, mais ob­jec­tive. La com­mu­ni­ca­tion ré­ta­blie, la re­la­tion réa­li­sée trans­forment to­ta­le­ment la com­pré­hen­sion que l’homme prend de soi-même.

Chris­tian Du­quoc (1926-2008), Chris­to­lo­gie. Le Mes­sie
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