
Grégoire de Nysse, fresque XIVe s.
Église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul
Pour quel motif la divinité descendit-elle jusqu’à nous ? Comment croire que Dieu, l’infini, l’incompréhensible, l’inexprimable, celui qui surpasse tout ce qu’on peut concevoir et toute grandeur, puisse se mêler à une nature humaine souillée ? À cette question, nous ne sommes pas embarrassés pour répondre. Tu cherches la raison pour laquelle Dieu est né parmi les hommes : c’est par ses dons que nous reconnaissons le bienfaiteur. En regardant ce qui nous est arrivé, nous pouvons en déduire la nature de celui qui nous a fait ce bien. Si donc l’amour pour l’humanité est une propriété de la nature divine, tu tiens la raison que tu cherchais, tu saisis pourquoi Dieu est venu vers les hommes.
Il fallait, en effet, un médecin à notre nature que le mal travaillait, il fallait quelqu’un pour relever l’homme tombé à terre. Il fallait quelqu’un pour rendre la vie à celui qui l’avait perdue ; il fallait quelqu’un pour ramener au bien l’homme qui s’était écarté de la communion avec le Bien. Enfermé dans les ténèbres, l’homme réclamait la présence de la lumière, le captif cherchait quelqu’un qui le rachète, le prisonnier avait besoin d’un aide, celui qui était opprimé sous le joug de la servitude, appelait un libérateur. Était-ce là des raisons de faible valeur ? Ne méritaient-elles pas d’émouvoir Dieu, pour qu’il descende visiter l’humanité gisant dans un si grand malheur et une si grande pitié ? Le fait que la nature toute-puissante ait été capable de descendre jusqu’à la bassesse de la condition humaine est une plus grande preuve d’amour que d’importants prodiges et miracles. Car accomplir de grandes et sublimes actions n’est pour la puissance divine qu’une conséquence logique de sa nature. Mais que Dieu soit descendu jusqu’à notre humble état, voilà qui montre la capacité extraordinaire et débordante de son pouvoir, un pouvoir qui ne connaît pas d’entraves, même dans des conditions contraires à sa nature !
Mais, dira-t-on, Dieu pouvait faire du bien à l’homme et demeurer dans son impassibilité. Pourquoi celui qui a établi l’univers par son vouloir, et qui, par la seule impulsion de son désir, a donné l’existence à ce qui ne l’avait point, n’aurait-il pas arraché l’homme à la puissance ennemie pour le ramener à sa condition première, s’il lui plaisait de le faire ? Mais voilà qu’il prend des chemins détournés et longs : il revêt la nature du corps, il entre dans notre monde par la voie de la naissance, parcourt les étapes de la vie, fait l’expérience de la mort, atteint ainsi son but par la résurrection de son propre corps. Ne lui aurait-il pas été possible, en restant dans les hauteurs de sa gloire divine, de sauver l’homme par une pure décision et de laisser de côté des moyens si compliqués ?
Mais non, dans l’économie du salut en notre faveur, Dieu manifeste tous ses attributs : la bonté, la sagesse, la justice, la puissance, l’incorruptibilité. La bonté se voit dans la volonté de sauver ce qui était perdu, la sagesse et la justice dans son plan de salut pour nous. Quant à sa puissance, Dieu l’a montrée en devenant semblable à l’homme, dans l’humble condition qui convient à notre nature et en laissant croire qu’il pourrait, comme les hommes, être saisi par la mort. En tant qu’il a été fait homme, il a fait ce qui était propre et adapté à sa nature humaine. Mais, en tant qu’il est Dieu, ce qui est propre et convenable à la Lumière, c’est de mettre en fuite les ténèbres, et ce qui est propre à la Vie, c’est de détruire la mort.
Grégoire de Nysse (~335-394), Catéchèse de la foi, 14-15 24. –PG 45, col. 41-48.
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