
Si le Christ est ressuscité, ce n’est pas pour quitter une bonne fois, et à jamais notre terre, ou pour renaître, à travers les douleurs de la mort, à la vie et à la lumière de Dieu, en laissant derrière lui, dans un vide désolé et sans espoir, le sombre sein de la terre. Non, il est ressuscité dans son corps.
Ce qui veut dire que, à ce moment-là, il commence à transformer le monde en ce qu’il est lui-même, qu’il assume le monde à tout jamais, qu’il naît une seconde fois comme enfant de la terre, mais d’une manière transfigurée, libérée, affranchie de toute limite, d’une terre qui trouve en lui sa base éternelle et qui est délivrée à jamais de la mort et de la vanité. Ce que nous appelons la Résurrection du Christ, et dans laquelle nous ne voyons inconsidérément que son destin personnel, n’est que le premier symptôme expérimental et superficiel du changement total qui s’est produit, derrière le voile de ce que nous appelons avec tant d’emphase l’expérience, au cœur le plus vrai et le plus profond de l’univers.
Sa résurrection fait penser à la première éruption d’un volcan, signe du feu qui dévore les entrailles de la terre. C’est bien de cela en effet qu’il s’agit et dont Pâques est le signe. Déjà, dans les profondeurs les plus secrètes du monde, brûle le feu de Dieu dont la flamme portera toutes choses à l’incandescence bienheureuse ; déjà, à partir du cœur intime du monde où sa mort l’avait fait descendre, des forces nouvelles, les énergies du monde transfiguré, sont au travail ; déjà, au plus profond de notre réalité, la vanité, le péché et la mort sont vaincus, et il ne doit plus s’écouler que ce petit intervalle de temps que nous appelons l’histoire après Jésus-Christ, pour que partout, et non seulement dans le corps du Christ, se manifeste ce qui est vraiment arrivé.
Mais voilà : du fait que son œuvre salvatrice, rédemptrice et transfiguratrice n’a pas commencé par opérer en surface, sur les symptômes, mais à la racine la plus profonde, notre regard ne dépasse pas l’horizon de l’expérience, et il nous semble qu’il ne s’est rien passé du tout ; du fait que le flot de la souffrance et du péché continue à ruisseler là où nous sommes, nous nous figurons que sa source profonde n’est pas tarie ; du fait que les forces du mal continuent de mettre leur empreinte sur le visage de notre terre, nous en concluons que l’amour est mort au cœur et à la racine de toutes choses. Eh bien, tout cela n’est qu’apparence ! Mais pourquoi faut-il, hélas, que nous prenions les apparences pour la réalité de la vie ?
Il est ressuscité parce qu’il a conquis et racheté à jamais par sa mort, le centre le plus intime de ce qui est de la nature terrestre. Mais cela sans le détruire, si bien qu’il ne nous a pas quittés.
Karl Rahner (1904-1984), L’homme au miroir de l’année chrétienne
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