Max Thu­rian. L’ai­mer sans le voir

Frères Max Thu­rian et Ro­ger Schütz
Car­di­nal Au­gus­tin Bea et Pape Jean XXIII 

Le se­cret d’une vie de prière pro­fonde, ce n’est pas le temps qu’on y met ou la mé­thode qu’on y ap­plique, c’est l’a­mour crois­sant pour le Christ. Mais ici les dif­fi­cul­tés ap­pa­raissent. Qu’est-ce ai­mer le Christ ? Com­ment l’ai­mer ? Il est peut-être fa­cile d’ai­mer son pro­chain, ou même son en­ne­mi. Mais que si­gni­fie l’a­mi­tié pour le Christ ? Jean-Bap­tiste, les Apôtres, la Vierge Ma­rie, ont vé­cu avec lui ; ils le voyaient et l’en­ten­daient ; com­ment ne l’au­raient-ils pas ai­mé ? Mais l’ai­mer sans le voir ! Ici, le mys­tère de l’in­car­na­tion at­teint l’­homme dans sa vie quo­ti­dienne, dans sa vie de prière. Si Dieu a pris vi­sage hu­main, c’est pour être vu, puis ima­gi­né. Je peux don­ner au Christ tel vi­sage, n’im­porte quel vi­sage d’­homme pour Le contem­pler et L’ai­mer. Ne s’est-il pas lui-même ca­ché et ré­vé­lé tout à la fois, après sa ré­sur­rec­tion, sous l’ap­pa­rence d’un voya­geur aux pè­le­rins d’Em­maüs, d’un jar­di­nier à Ma­rie-Ma­de­leine, d’un ri­ve­rain aux Apôtres pê­chant dans le lac ? « Jé­sus en per­sonne s’ap­pro­cha et fit route avec eux ; mais leurs yeux étaient em­pê­chés de le re­con­naître. » (Lc 24, 15) « Elle se re­tour­na et vit Jé­sus qui se te­nait là, mais sans sa­voir que c’é­tait lui… elle le prit pour le jar­di­nier. » (Jn 20, 14) « Jé­sus pa­rut sur le ri­vage ; mais les dis­ciples ne sa­vaient pas que c’é­tait lui. » (Jn 21, 4) Tous, ils ont dû le dis­cer­ner sous un vi­sage d’­homme or­di­naire pour le re­con­naître comme le Res­sus­ci­té, le contem­pler, l’a­do­rer et l’aimer.

Si nous croyons qu’il vit et qu’il est pré­sent, qu’im­porte pour nous qu’il nous reste in­vi­sible dans sa na­ture propre. Tout vi­sage d’­homme est le sien et nous ré­vèle sa per­sonne. Je peux donc lui don­ner n’im­porte quelle ap­pa­rence hu­maine. Si Je crois en sa pré­sence et en son amour, Je vois le Christ et je vis avec lui. Ici l’a­mour pour Dieu, vi­sible en Christ sous un vi­sage d homme, re­joint l’a­mour pour le prochain.

« Ce­lui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne sau­rait ai­mer Dieu qu’il ne voit pas. » (1Jn 4, 20) C’est dans l’a­mour du pro­chain, dés­in­té­res­sé, prêt au sa­cri­fice, que le vi­sage hu­main du Christ va se ré­vé­ler pour sou­te­nir la contem­pla­tion, la prière, l’a­mi­tié pour Ce­lui qui est plus pré­sent et fi­dèle en son ami­tié qu’au­cun ami sur terre. Ain­si, le mys­tère de l’in­car­na­tion de Dieu en Jé­sus homme est le fon­de­ment et l’a­li­ment de toute vie de prière, de toute pré­sence à Dieu at­ten­tive et contem­pla­tive. Et ce mys­tère de l’in­car­na­tion du Christ dans l’­his­toire trouve son ac­tua­li­té dans l’a­mour du pro­chain, qui ré­vèle constam­ment au chré­tien le vi­sage hu­main de son Dieu, pour fixer sa contem­pla­tion, sa prière et son ami­tié sur Ce­lui qui est Amour.

Max Thu­rian (1921-1996), L’homme mo­derne et la vie spi­ri­tuelle
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