Léo­nard de Vin­ci. Sal­va­tor Mundi

Cristó­bal de Mo­rales (1500-1553), O Crux ave
En­semble vo­cal Stile Antico 

Léo­nard de Vin­ci (1452-1519) Sal­va­tor Mun­di (~1500) Le Louvre, Abou Dabi

Léo­nard de Vin­ci (1452-1519)
Sal­va­tor Mun­di
(~1500)
Le Louvre, Abou Dabi 

L’ image du Sal­va­tor Mun­di ap­pa­raît en Oc­ci­dent dès la fin du Moyen Âge. Bâ­ti au XIIIe siècle, le porche de la cha­pelle haute de La Sainte Cha­pelle à Pa­ris pré­sente, par exemple, une sta­tue de Christ qui bé­nit de la main droite et tient le globe dans sa main gauche. Le grand pro­mo­teur de ce type de fi­gures se­rait le Sien­nois Si­mone Mar­ti­ni, à tra­vers une sy­no­pie (es­quisse de fresque) réa­li­sée vers 1340, au Pa­lais des Papes à Avi­gnon. Puis, le re­lais a été pris par les peintres fla­mands comme Van Eyck, Mem­ling. Un ta­bleau tou­chant de Van der Wey­den, aujourd’hui au Louvre, re­pré­sente le Christ en Sal­va­tor Mun­di, entre la Vierge et saint Jean-Baptiste.

On trouve dans l’art by­zan­tin des images du Christ Pan­to­cra­tor qui bé­nit, lui aus­si, de la main droite mais tient un livre dans sa main gauche, où l’on lit par­fois ce ver­set bi­blique (Jn 8, 12) : « Je suis la lu­mière du monde. » Le for­mat de ces Christ Pan­to­cra­tor est sou­vent mo­nu­men­tal, tan­dis que le Sal­va­tor Mun­di en Oc­ci­dent ap­pa­raît plu­tôt sur des œuvres de pe­tit for­mat, des­ti­nées à la dé­vo­tion privée.

Il n’y a pas de fi­lia­tion di­recte entre le Pan­to­cra­tor by­zan­tin et son al­ter ego oc­ci­den­tal, le Sal­va­tor Mun­di. En re­vanche, il est clair, que la fron­ta­li­té de ce Christ, ses yeux tour­nés vers nous, viennent des icônes dont l’essence même est d’offrir une confron­ta­tion di­recte avec le di­vin, une oc­ca­sion de rencontre.

Dans le Sal­va­tor Mun­di de Léo­nard, le Christ re­pré­sen­té en buste à mi-corps, qua­si­ment à l’échelle hu­maine, de­vant un fond sombre, fa­vo­rise une ren­contre personnelle.

Le geste de bé­né­dic­tion ap­pa­raît très tôt dans l’art chré­tien des ca­ta­combes et re­prend le geste du rhé­teur an­tique qui sur l’agora, ré­clame le si­lence pour prendre la pa­role. Le Christ est le Verbe de Dieu fait chair. Sa main le­vée re­pré­sente donc beau­coup plus qu’une bé­né­dic­tion : c’est le geste de ce­lui qui en­seigne et énonce la pa­role di­vine, qui juge aussi.

Dif­fé­rence sub­tile : dans l’art by­zan­tin, le Pan­to­cra­tor bé­nit avec le pouce re­cour­bé sur l’annulaire et l’auriculaire re­pliés, geste dans le­quel cer­tains his­to­riens d’art ont vu une image de la Tri­ni­té di­vine. En Oc­ci­dent, le geste de bé­né­dic­tion du Christ laisse le pouce libre, tan­dis que l’index et le mé­dius sont unis pour in­sis­ter peut-être la double na­ture – hu­maine et di­vine – du Christ. Une simple main peut ren­fer­mer toute une le­çon de catéchisme !

On croit, à tort, que le globe de cris­tal fi­gure la ro­ton­di­té de la terre. Après tout Léo­nard l’aurait peint vers 1499, peu après la dé­cou­verte de l’Amérique par Chris­tophe Co­lomb. Or en fait, ce globe offre un sym­bole beau­coup plus vaste : c’est tout l’univers que le Christ tient dans sa main gauche. Le cercle sym­bo­lise en ef­fet la to­ta­li­té et la per­fec­tion, qua­li­té re­dou­blée ici par la trans­pa­rence du cristal.

D’un point de vue théo­lo­gique, le Sal­va­tor Mun­di ap­pa­raît ain­si comme ce­lui par qui tout a été créé. Si le Christ re­ti­rait sa main, le monde re­tour­ne­rait au néant : cette idée se trouve dé­jà chez Saint Au­gus­tin. Il faut no­ter qu’avant Léo­nard, les peintres re­pré­sen­taient tou­jours ces globes coif­fés d’une croix.
Fran­çois Bœsp­flug, © La Croix, 14 no­vembre 2017

O Crux ave, spes uni­ca
In hac trium­phi glo­ria
Auge piis jus­ti­tiam
Reisque do­na ve­niam.
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Sa­lut ô Croix, unique es­pé­rance
dans la gloire de ton triomphe !
Offre la grâce aux hommes pieux,
et dé­truis les crimes des méchants.