L. Bouyer. La cé­lé­bra­tion conti­nue de la Pâque

Dire que les fes­ti­vi­tés pas­cales sont le centre de l’année ec­clé­sias­tique, ce­la n’est pas as­sez dire ; elles sont et le foyer où tout converge, et la source de la­quelle tout découle.

Tout le culte chré­tien n’est qu’une cé­lé­bra­tion conti­nue de la Pâque : le so­leil qui ne cesse de se le­ver sur la terre traîne après lui un sillage d’eucharisties qui ne s’interrompt pas un seul ins­tant, et chaque messe cé­lé­brée, c’est la Pâque qui se pro­longe. Chaque jour de l’année li­tur­gique, et dans chaque jour chaque ins­tant de la vie de l’Église qui ne dort ja­mais, conti­nue et re­nou­velle cette Pâque que le Sei­gneur avait dé­si­rée d’un si grand dé­sir man­ger avec les siens, en at­ten­dant celle qu’il man­ge­ra dans son royaume avec eux et qui se pro­lon­ge­ra du­rant l’éternité. La Pâque an­nuelle que nous ne ces­sons ni de nous re­mé­mo­rer ni d’attendre nous main­tient sans re­lâche dans le sen­ti­ment des pre­miers chré­tiens qui s’écriaient, tour­nés vers le pas­sé : « Le Sei­gneur est vrai­ment res­sus­ci­té !», et tour­nés vers l’avenir : « Viens Sei­gneur Jé­sus ! Viens bientôt !»

La re­li­gion chré­tienne, en ef­fet, n’est pas sim­ple­ment une doc­trine, elle est un fait, une ac­tion, et non pas une ac­tion du pas­sé, mais une ac­tion du pré­sent où le pas­sé se re­trouve et où l’avenir s’approche. C’est en ce­la qu’elle ren­ferme un mys­tère, un mys­tère de foi, car elle nous af­firme que de­vient nôtre aujourd’hui l’action qu’un Autre ac­com­plit ja­dis et dont nous ne ver­rons les fruits en nous que plus tard. Cette ac­tion ac­com­plie ja­dis par lui, c’est la Pâque d’il y a deux mille ans. Cette ac­tion de­ve­nant nôtre aujourd’hui, c’est la Pâque que nous cé­lé­brons. La gloire qui en ré­sul­te­ra pour nous, comme elle a ré­sul­té pour Lui, c’est la Pâque éter­nelle que les élus cé­lèbrent dans le ciel, le fes­tin de l’Agneau im­mo­lé et glo­rieux. Car le Christ est mort pour nous, non pas afin de nous dis­pen­ser de mou­rir, mais bien plu­tôt pour nous rendre ca­pables de mou­rir ef­fi­ca­ce­ment : de mou­rir à la vie du vieil homme pour re­vivre à celle de l’homme nou­veau qui ne meurt plus.

C’est là le sens de la Pâque : elle nous en­seigne que le chré­tien dans l’Église doit mou­rir avec le Christ pour res­sus­ci­ter avec lui. Et elle ne fait pas que l’enseigner, comme on mon­tre­rait du doigt quelque chose que l’on ne tient pas en son pou­voir, elle l’opère. La Pâque, c’est le Christ qui est mort et res­sus­ci­té une fois, nous fai­sant mou­rir de sa mort et nous res­sus­ci­tant à sa vie. Ain­si la Pâque n’est-elle pas une simple com­mé­mo­rai­son ; elle est la Croix et le Tom­beau vide ren­dus pré­sents. Mais main­te­nant ce n’est plus le Chef qui doit s’étendre sur la croix pour se re­le­ver du tom­beau ; c’est son corps, l’Église, et dans ce corps, c’est cha­cun de ses membres que nous sommes. Cette mort avec le Christ et cette ré­sur­rec­tion avec lui nous donnent la vie ca­chée avec le Christ en Dieu, qui pa­raî­tra lorsque le Christ lui-même pa­raî­tra. C’est là tout le mys­tère que Dieu, d’après saint Paul, avait ré­ser­vé pour ces der­niers temps, les nôtres. On a sou­vent sou­li­gné l’extraordinaire abon­dance des com­po­sés en avec sous la plume de saint Paul, et l’on a re­mar­qué jus­te­ment que c’est un trait ca­rac­té­ris­tique de toute sa concep­tion de la vie chré­tienne. En ef­fet, pour lui, la vie chré­tienne, vie de l’Église ou vie de chaque chré­tien, est une vie avec le Christ.

Louis Bouyer (1913-2004), Le Mys­tère pas­cal
Bio­gra­phie