
Dire que les festivités pascales sont le centre de l’année ecclésiastique, cela n’est pas assez dire ; elles sont et le foyer où tout converge, et la source de laquelle tout découle.
Tout le culte chrétien n’est qu’une célébration continue de la Pâque : le soleil qui ne cesse de se lever sur la terre traîne après lui un sillage d’eucharisties qui ne s’interrompt pas un seul instant, et chaque messe célébrée, c’est la Pâque qui se prolonge. Chaque jour de l’année liturgique, et dans chaque jour chaque instant de la vie de l’Église qui ne dort jamais, continue et renouvelle cette Pâque que le Seigneur avait désirée d’un si grand désir manger avec les siens, en attendant celle qu’il mangera dans son royaume avec eux et qui se prolongera durant l’éternité. La Pâque annuelle que nous ne cessons ni de nous remémorer ni d’attendre nous maintient sans relâche dans le sentiment des premiers chrétiens qui s’écriaient, tournés vers le passé : « Le Seigneur est vraiment ressuscité !», et tournés vers l’avenir : « Viens Seigneur Jésus ! Viens bientôt !»
La religion chrétienne, en effet, n’est pas simplement une doctrine, elle est un fait, une action, et non pas une action du passé, mais une action du présent où le passé se retrouve et où l’avenir s’approche. C’est en cela qu’elle renferme un mystère, un mystère de foi, car elle nous affirme que devient nôtre aujourd’hui l’action qu’un Autre accomplit jadis et dont nous ne verrons les fruits en nous que plus tard. Cette action accomplie jadis par lui, c’est la Pâque d’il y a deux mille ans. Cette action devenant nôtre aujourd’hui, c’est la Pâque que nous célébrons. La gloire qui en résultera pour nous, comme elle a résulté pour Lui, c’est la Pâque éternelle que les élus célèbrent dans le ciel, le festin de l’Agneau immolé et glorieux. Car le Christ est mort pour nous, non pas afin de nous dispenser de mourir, mais bien plutôt pour nous rendre capables de mourir efficacement : de mourir à la vie du vieil homme pour revivre à celle de l’homme nouveau qui ne meurt plus.
C’est là le sens de la Pâque : elle nous enseigne que le chrétien dans l’Église doit mourir avec le Christ pour ressusciter avec lui. Et elle ne fait pas que l’enseigner, comme on montrerait du doigt quelque chose que l’on ne tient pas en son pouvoir, elle l’opère. La Pâque, c’est le Christ qui est mort et ressuscité une fois, nous faisant mourir de sa mort et nous ressuscitant à sa vie. Ainsi la Pâque n’est-elle pas une simple commémoraison ; elle est la Croix et le Tombeau vide rendus présents. Mais maintenant ce n’est plus le Chef qui doit s’étendre sur la croix pour se relever du tombeau ; c’est son corps, l’Église, et dans ce corps, c’est chacun de ses membres que nous sommes. Cette mort avec le Christ et cette résurrection avec lui nous donnent la vie cachée avec le Christ en Dieu, qui paraîtra lorsque le Christ lui-même paraîtra. C’est là tout le mystère que Dieu, d’après saint Paul, avait réservé pour ces derniers temps, les nôtres. On a souvent souligné l’extraordinaire abondance des composés en avec sous la plume de saint Paul, et l’on a remarqué justement que c’est un trait caractéristique de toute sa conception de la vie chrétienne. En effet, pour lui, la vie chrétienne, vie de l’Église ou vie de chaque chrétien, est une vie avec le Christ.
Louis Bouyer (1913-2004), Le Mystère pascal
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