Saint Jean Chry­so­stome. « J’ai vu le Sei­gneur » (Isaïe)

Saint Jean Chry­so­stome
Bal­kan, XIXe s.
Col­lec­tion privée 

Écoute ce que dit Isaïe : « L’année où mou­rut le roi Ozias, il ar­ri­va que je vis le Sei­gneur as­sis sur un trône qui s’élevait très haut ; les Sé­ra­phins se te­naient en cercle au­tour de lui. Ils avaient cha­cun six ailes ; avec deux de ces ailes ils se ca­chaient le vi­sage et avec deux autres les pieds. »

Dis-moi, pour quelle rai­son les Sé­ra­phins se cachent-ils le vi­sage avec leurs ailes ? Pour­quoi, si­non parce qu’ils ne peuvent sup­por­ter l’éclat et le scin­tille­ment de la lu­mière qui vient du trône ? Et pour­tant ils ne voyaient pas cette lu­mière dans tout son éclat, ils ne contem­plaient pas l’essence di­vine elle-même dans toute sa pu­re­té, mais ils avaient sous les yeux des té­moi­gnages de sa condes­cen­dance. Qu’est-ce que cette condes­cen­dance di­vine ? C’est lorsque Dieu se montre non pas tel qu’il est, mais tel qu’il peut être vu par ce­lui qui est ca­pable de cette vi­sion, en pro­por­tion­nant ce qu’il montre de lui-même à la fai­blesse des yeux de ceux qui le regardent.

Qu’il y eût dans ce cas condes­cen­dance, c’est évident d’après les pa­roles mêmes du pro­phète : « Je vis, dit-il, le Sei­gneur as­sis sur un trône qui s’élevait très haut. » Mais Dieu n’est pas as­sis, car c’est là une po­si­tion des êtres cor­po­rels. Et il n’est pas sur un trône : Dieu n’est pas en­ser­ré dans un trône, car la di­vi­ni­té est in­fi­nie. Et pour­tant ces Ver­tus d’en haut n’étaient pas même ca­pables de sup­por­ter la condes­cen­dance di­vine, bien qu’elles fussent proches : « Les Sé­ra­phins se te­naient en cercle au­tour de lui. » Ou plu­tôt, c’est à cause de ce­la même qu’elles ne pou­vaient pas le voir, parce qu’elles étaient tout près. Mais en réa­li­té l’Esprit Saint ne veut pas dire qu’elles étaient près de Dieu dans le sens lo­cal. Il en­tend mon­trer par là que, bien que leurs na­tures soient plus proches que les nôtres de l’essence di­vine, elles ne peuvent ce­pen­dant pas le contem­pler ain­si, et c’est pour­quoi il dit : « Les Sé­ra­phins se te­naient en cercle au­tour de lui », ne fai­sant pas ain­si al­lu­sion au lieu, mais vou­lant si­gni­fier par cette proxi­mi­té lo­cale leur pa­ren­té plus étroite que la nôtre avec Dieu.

En ef­fet, le ca­rac­tère in­com­pré­hen­sible de Dieu nous ap­pa­raît, à nous, moins net­te­ment qu’à ces illustres Ver­tus, dans toute la me­sure où elles sur­passent la na­ture hu­maine en pu­re­té, en sa­gesse et en pers­pi­ca­ci­té. De même que l’aveugle sai­sit moins bien que le clair­voyant le ca­rac­tère in­ac­ces­sible des rayons du so­leil, de même nous sai­sis­sons moins bien qu’elles le ca­rac­tère in­com­pré­hen­sible de Dieu. La dis­tance qui sé­pare un clair­voyant d’un aveugle n’est pas plus grande que la dif­fé­rence entre elles et nous.

Aus­si lorsque tu en­tends le pro­phète dire : « J’ai vu le Sei­gneur », ne va pas t’imaginer qu’il a vu son es­sence ; il n’a vu de lui que ce que sa condes­cen­dance a bien vou­lu lui lais­ser voir, et en­core sous une forme plus es­tom­pée que pour les Ver­tus d’en haut, car il n’avait certes pas la même puis­sance de vi­sion que les Chérubins.

Saint Jean Chry­so­stome (354-402), Sur l’Incompréhensibilité, Ho­mé­lie 3 - SC 28bis
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