Gé­rard Bre­gnard. L’In­di­cible (Col­lage)

W. A. Mo­zart (1756-1791), Lau­date Do­mi­num, Ves­pe­rae so­lennes de confes­sore, KV 339
Lon­don Sym­pho­ny Or­ches­tra and Cho­rus, dir. Sir Co­lin Davis 

Au cours des ans, la ma­nière d’ex­pri­mer cer­taines réa­li­tés mé­ta­phy­siques s’est constam­ment modifiée.

On ne peut re­pré­sen­ter l’In­di­cible. Tout au plus peut-on le sug­gé­rer au moyen de sym­boles. Si la Re­nais­sance a dé­ve­lop­pé l’ap­pa­rence hu­maine de Dieu, le Moyen-Age s’est mon­tré plus res­pec­tueux et plus conscient de la hié­rar­chie mar­quée par des dif­fé­rences de di­men­sions et quel­que­fois de couleur.

J’ai vou­lu tra­duire l’i­dée qu’un homme du XXe siècle peut se faire d’une force in­tel­li­gente qui pré­side à la des­ti­née d’un uni­vers dont la pro­di­gieuse com­plexi­té se ré­vèle à lui, de plus en plus.

Il me pa­raît lo­gique de re­non­cer à une re­pré­sen­ta­tion pseu­do-ob­jec­tive pour une forme d’ex­pres­sion plus pure et plus apte à si­gni­fier par ana­lo­gie des faits et des évé­ne­ments d’un ordre plus mé­ta­phy­sique. Toute ma pein­ture tend à ex­pri­mer le sacré.

Ayant eu à l’es­prit un thème à dé­ve­lop­per, j’ai dû im­pé­ra­ti­ve­ment me sou­mettre à la loi d’é­qui­libre. Par ce fait, la forme dé­fi­ni­tive de l’œuvre m’a d’a­bord échap­pé. Dans son éla­bo­ra­tion, je me suis com­por­té comme un mu­si­cien com­po­sant. J’ai re­cher­ché des rap­ports heu­reux de rythmes et de cou­leurs, une harmonisation.

« Et le dé­sert fleu­ri­ra » (Is 35, 1)

Gé­rard Bre­gnard (1920-2003)
Po­lyp­tyque fer­mé, col­lage (ma­quette), col­lec­tion pri­vée, © Fran­zis­ka Rie­do
Œuvre réa­li­sée : Cha­pelle du Ly­cée-Col­lège St-Charles, Por­ren­truy / CH 

Temps de l’Avent et du Ca­rême

Les vo­lets re­pliés du po­lyp­tyque sug­gèrent, pour le temps de Ca­rême et de l’Avent, la val­lée de larmes avec, pour­tant, l’espérance d’une flo­rai­son, dans le mou­ve­ment ver­ti­cal des pan­neaux su­pé­rieurs qui parlent de dépassement.

Les deux ta­bleaux in­fé­rieurs sont des pay­sages un peu tristes dont les formes obéissent au sys­tème ryth­mique uti­li­sé pour l’ensemble de l’œuvre. Leurs ron­deurs sug­gèrent l’organique de la vie ani­male et vé­gé­tale. Leur dy­na­misme, sous l’horizontale qui sym­bo­lise la fonc­tion ma­té­rielle, fait pen­ser à un état de croissance.

Les ta­bleaux su­pé­rieurs re­prennent cet as­pect de crois­sance, le pro­je­tant ver­ti­ca­le­ment – trans­cen­dance et dé­pas­se­ment – à tra­vers flo­rai­sons et rup­tures, par-des­sus la ligne d’horizon, dans l’espace de lu­mière : re­tour à l’énergie cosmique.

« Et Il vit que ce­la était très bon » (Gn 1, 31)

Gé­rard Bre­gnard (1920-2003)
Po­lyp­tyque ouvert

An­non­cia­tion et Na­ti­vi­té
J’ai re­non­cé à re­pré­sen­ter le Christ pour sym­bo­li­ser l’événement.

A droite du Ta­ber­nacle : l’Annonciation. L’ange ou l’aile sug­gère la fonc­tion spi­ri­tuelle. L’Esprit-Saint dé­signe la graine. Le cercle, conte­nant dy­na­mique, sym­bole cos­mique de re­nou­vel­le­ment et de conti­nui­té, exis­ten­tiel par le rouge, contient le bleu, fonc­tion spi­ri­tuelle. L’Esprit lui est prê­té par l’aile du haut. Les formes du bas ne sont qu’une re­pré­sen­ta­tion ma­cro­sco­pique de la fonc­tion matérielle.

Sur le 2ème pan­neau : la Na­ti­vi­té. Sur un es­pace car­ré (de cris­tal­li­sa­tion) des formes or­ga­niques sug­gèrent la nais­sance. L’énergie cos­mique – le jaune – anime une cris­tal­li­sa­tion ma­té­rielle coif­fée de la fonc­tion spi­ri­tuelle – le bleu – dans un es­pace de pu­re­té – le blanc -.

Cru­ci­fixion et Ré­sur­rec­tion

A gauche du Ta­ber­nacle : la Cru­ci­fixion. La croix noire parle d’écartèlement, la flamme d’une exis­tence qui se consume. La vie or­ga­nique doit se consu­mer pour re­joindre l’énergie – le jaune – et l’intelligence cos­mique – le bleu -.

Sur le der­nier pan­neau : la Ré­sur­rec­tion. D’un ca­veau sort une co­rolle mar­quée de rouge – la vie or­ga­nique, l’existence – qui monte dans la lu­mière. L’individu, le par­ti­cu­lier est une graine qui s’accomplit dans la su­bli­ma­tion. A tra­vers sa des­truc­tion – le rec­tangle noir – cette graine re­joint l’énergie pre­mière et une exis­tence re­nou­ve­lée – le rouge -.

Créa­tion

Mes sym­boles peuvent se lire en re­la­tion avec l’ordre na­tu­rel. l’horizontale, l’ocre, la terre sym­bo­lisent la fonc­tion ma­té­rielle ; la ver­ti­cale, le bleu, le ciel, l’oiseau ou l’aile parlent de fonc­tion spi­ri­tuelle ; le rouge, le sang, la ma­tière en fu­sion sym­bo­lisent la fonc­tion or­ga­nique, l’existence, au contraire du vert, qui sug­gère l’essence.

La fleur, centre de re­nou­vel­le­ment et de conti­nui­té m’a pa­ru propre à ex­pri­mer le lieu de la Créa­tion. Sur le pan­neau cen­tral du po­lyp­tyque ou­vert, une ma­nière de flo­rai­son dy­na­mique se dé­ploie dans un es­pace re­la­ti­ve­ment sta­tique de cris­tal­li­sa­tion, es­pace exis­ten­tiel sym­bo­li­sé par le rouge qui re­çoit son éner­gie (le jaune) d’un conte­nant dy­na­mique (le cercle) in­ves­ti de la spi­ri­tua­li­té (le bleu).

Nos fa­cul­tés de per­cep­tion li­mi­tées re­la­ti­visent toutes ten­ta­tives d’approche de la réa­li­té et condi­tionnent nos moyens d’expression. Tout ce qui s’offre à notre contem­pla­tion est pris dans un phé­no­mène dy­na­mique qui n’apparaît pas à nos yeux.

J’ai em­ployé le terme de cris­tal­li­sa­tion parce que le cris­tal, tout en pa­rais­sant so­lide et stable, porte dans sa forme su­per­fi­cielle, l’image sché­ma­tique du pro­ces­sus de crois­sance et de struc­tu­ra­tion qui l’a réalisé.

Le grand rec­tangle rouge cer­né de noir pour­rait nous dire l’exaltation et la souf­france d’un corps fi­gé dans son en­ve­loppe or­ga­nique, pro­mis dé­jà à la des­truc­tion, agi­té et as­pi­ré à la fois par la lu­mière d’en haut.

Ange et diable

A droite du Ta­ber­nacle, le prin­cipe po­si­tif : l’ange.
A gauche du Ta­ber­nacle, le prin­cipe né­ga­tif : le diable.
Ils ont gar­dé de la re­pré­sen­ta­tion tra­di­tion­nelle cer­tains at­tri­buts comme les ailes et les cornes. 

Gé­rard Bre­gnard, juin 1988
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Bio­gra­phie

Ori­gi­naire de Bon­fol (JU), Gé­rard Bre­gnard, peintre et sculp­teur, est né le 8 dé­cembre 1920 à Fon­te­nais, dans le can­ton du Jura. 

Son père, pas­sion­né par tout ce qui touche à la vie, à l’ordre uni­ver­sel, exerce sur lui une in­fluence pro­fonde et du­rable. Sa mère contri­bue par son es­prit ti­mo­ré à sor­tir de la norme ce fils unique en li­mi­tant ses contacts avec l’extérieur.

• A par­tir de 1934, Gé­rard Bre­gnard gagne sa vie suc­ces­si­ve­ment en tant que com­mis de phar­ma­cie du­rant sept ans, puis comme aide-jar­di­nier, ou­vrier dans une fa­brique de chaus­sures, dans une fa­brique d’­huile, de vi­naigre et de mou­tarde et en­fin, dix-huit ans du­rant, à l’é­tam­page d’une fa­brique de boîtes de montres. Il se­ra ma­nœuvre du­rant 28 ans.
• En 1948, il dé­cide d’être peintre pro­fes­sion­nel et se donne deux ans pour y par­ve­nir. Il lui en fau­dra qua­torze.
• A la fin de 1950, il de­vient sur­réa­liste, as­ser­vi en­core par l’ob­jet jus­qu’en 1955.
• De 1956 à 1957, il tra­verse une pé­riode construc­tive, puis connaît un vide jus­qu’à la mort de son père en 1959.
• En 1962, après des es­sais di­vers, il inau­gure une pé­riode ba­roque d’es­prit sur­réa­liste et rem­porte, de­vant 86 par­ti­ci­pants, le pre­mier prix d’un concours na­tio­nal pour l’a­mé­na­ge­ment et la dé­co­ra­tion de la place si­tuée de­vant les bâ­ti­ments ad­mi­nis­tra­tifs Co­op, à Wan­gen, près d’Ol­ten ; il s’a­donne dès lors li­bre­ment à la pein­ture et à la sculp­ture en fer sou­dé.
• En 1965, il illustre deux ou­vrages pa­rus à Mou­tier : Feu pour Feu, d’A­lexandre Voi­sard (li­no­gra­vures), et Ex­plo­ra­tions, de We­ber-Per­ret (des­sins).
• En 1966, bé­né­fi­ciant d’une bourse de tra­vail libre du Gou­ver­ne­ment ca­na­dien, il sé­journe six mois au Ca­na­da et aux États-Unis.
• En 1969, il ob­tient le pre­mier prix d’un concours de sculp­ture ou­vert pour la dé­co­ra­tion de l’École pro­fes­sion­nelle de De­lé­mont. Il exé­cute en outre une sculp­ture en fer pour l’École nor­male de Por­ren­truy, main­te­nant Ins­ti­tut pé­da­go­gique, com­man­dée par l’État de Berne.
• La Té­lé­vi­sion lui com­mande un groupe de quatre pein­tures pour son bâ­ti­ment de Ge­nève en 1974.
• En 1978, il réa­lise une pein­ture mu­rale pour le Ly­cée can­to­nal de Por­ren­truy.
• En juillet 1980, il fait par­tie des sept membres fon­da­teurs de la sec­tion Ju­ra de la So­cié­té des peintres, sculp­teurs et ar­chi­tectes suisses. Il dé­mis­sionne dé­but 1986.
• En 1988, il réa­lise un po­lyp­tyque pour la cha­pelle du Col­lège St-Charles à Por­ren­truy.
• Il est membre de l’Ins­ti­tut ju­ras­sien des sciences, des lettres et des arts.
• Il meurt à Bres­sau­court en 2003.
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Ps 116
1 Lau­date Do­mi­num, omnes gentes.
Lau­date eum, omnes po­pu­li.
2 Quo­niam confir­ma­ta est
su­per nos mi­se­ri­cor­dia eius,
et ve­ri­tas Do­mi­ni ma­net in aeternum.

Glo­ria Pa­tri et Fi­lio, et Spi­ri­tui Sanc­to,
si­cut erat in prin­ci­pio, et nunc, et sem­per,
et in sae­cu­la sae­cu­lo­rum, sae­cu­lo­rum.
Amen.
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1 Louez le Sei­gneur, tous les peuples.
Fê­tez-le, tous les pays !
2 Son amour en­vers nous
s’est mon­tré le plus fort.
Éter­nelle est la fi­dé­li­té du Seigneur !

Gloire au Père, au Fils et au Saint Es­prit,
comme il était au com­men­ce­ment, main­te­nant et tou­jours,
pour les siècles des siècles.
Amen.