Olivier Messiaen (1908-1992), Les ténèbres
Jennifer Bate, orgue, Église de la Sainte-Trinité, Paris

Francisco José de Goya y Lucientes (1746-1828)
Fusillades du trois mai 1808 (1814)
Le Prado, Madrid
Dans l’atroce et admirable tableau des Fusillades du trois mai, le groupe rythmé et discipliné des soldats du peloton d’exécution figure une rationalité démente. La régularité, l’ordre qui eussent dû marquer le triomphe des principes, viennent seulement régler l’exercice de la violence. Par l’obliquité que Goya confère à la scène, il cache le visage des hussards français. Ceux-ci n’apparaissent que de profil, à contre-jour de la sinistre lanterne posée à leurs pieds. Nous n’apercevons d’eux que l’équipement : fusils, chapeaux, buffles flétris, capotes, sabres. La lumière, en revanche, s’attache indissolublement au groupe des victimes, et plus particulièrement à l’homme du peuple, que va abattre la salve imminente. Goya a su donner à son visage sans beauté une expression simple, qui est à la fois au-delà du courage et de l’épouvante, les bras étendus dans l’attitude de la crucifixion, les paumes ouvertes. Cet émeutier aux traits grossiers prend soudain la dimension archétypale de l’homme insulté et humilié par l’homme.
Jean Starobinski, 1789 – Les Emblèmes de la Raison