El Gre­co. Trois femmes à la Pentecôte

Pier­lui­gi da Pa­les­tri­na (~1525-1594), Ve­ni Sancte Spi­ri­tus
The Choir of King’s Col­lege, Cambridge

Le Cré­tois Do­mé­ni­kos Theo­tokó­pou­los, sur­nom­mé le Gre­co, est un ar­tiste d’une to­tale sin­gu­la­ri­té dans l’Espagne du XVIe siècle. En 1600, il peint La Pen­te­côte, un grand ta­bleau fai­sant par­tie d’un re­table mo­nu­men­tal com­man­dé par le col­lège de l’Incarnation à Madrid. 

El Gre­co (1541-1614)
La Pen­te­côte (1596-1600)
Mu­sée du Pra­do, Madrid

Cette œuvre mo­nu­men­tale, ty­pique de la der­nière pé­riode de l’artiste, re­pré­sente la réunion des apôtres au Cé­nacle cin­quante jours après la ré­sur­rec­tion du Christ (Pen­te­côte si­gni­fiant cin­quan­tième jour en grec). Le Saint-Es­prit, sym­bo­li­sé par une co­lombe, des­cend vers la mère de Jé­sus et les apôtres. Au centre de la com­po­si­tion, seule à joindre les mains, Ma­rie rend grâce à Dieu pour ce don. La flamme au-des­sus de leur tête fi­gure le feu di­vin qu’ils sont en train de recevoir.

Jouant à l’extrême de la dis­tor­sion des fi­gures et de l’espace, le Gre­co bou­le­verse les conven­tions ar­tis­tiques de son époque. Son style sin­gu­lier est aus­si qua­li­fié d’extravagant en rai­son de l’exagération des formes, de la pa­lette très contras­tée et des com­po­si­tions audacieuses.

Un épi­sode de la vie du Christ
La Pen­te­côte (cin­quan­tième jour en grec) est la réunion des dis­ciples au Cé­nacle cin­quante jours après la ré­sur­rec­tion du Christ. Le Cé­nacle de Jé­ru­sa­lem, si­tué au som­met du Mont Sion, est l’endroit où au­raient eu lieu la Cène, la Pen­te­côte et d’autres évé­ne­ments im­por­tants des pre­miers temps de l’Église.

Le jour de son as­cen­sion, le Christ dit à ses dis­ciples de « ne pas quit­ter Jé­ru­sa­lem, mais d’y at­tendre ce que le Père avait pro­mis. » (Ac 1, 4-5) Il leur de­mande de de­meu­rer en­semble pour re­ce­voir le don de l’Esprit : « Vous re­ce­vrez une puis­sance, le Saint-Es­prit sur­ve­nant sur vous, et vous se­rez mes té­moins à Jé­ru­sa­lem, dans toute la Ju­dée, dans la Sa­ma­rie, et jusqu’aux ex­tré­mi­tés de la terre. » (Ac1, 8)

« Quand les jours de la Pen­te­côte furent ac­com­plis » nous disent les Actes des Apôtres « les dis­ciples étaient tous en­semble en un même lieu, et sou­dain un bruit s’entendit ve­nant du ciel : et il em­plit toute la mai­son ; et ils virent comme des langues de feu qui se par­ta­geaient et il s’en po­sa sur cha­cun d’eux. Ils furent tous rem­plis d’Esprit Saint et se mirent à par­ler d’autres langues comme l’esprit leur don­nait de s’exprimer. » (Ac 2, 1, 2)

Un thème nou­veau pour le Gre­co
À l’exception de La Pen­te­côte, au­cun des su­jets du re­table n’était nou­veau pour lui.
L’iconographie tra­di­tion­nelle montre l’Esprit saint des­cen­dant sous forme de langue de feu sur la Vierge Ma­rie et les douze Apôtres alors que le Gre­co re­pré­sente deux femmes sup­plé­men­taires. On sait, d’après l’Évangile de Luc, que Ma­rie-Ma­de­leine, Su­zanne, Jeanne, Ma­rie, mère de Jacques, ont sui­vi Jé­sus de­puis la Galilée. 

La flamme au-des­sus de leur tête fi­gure le feu di­vin qu’ils sont en train de re­ce­voir. Au centre de la com­po­si­tion, seule à joindre les mains, Ma­rie rend grâce à Dieu pour ce don. La po­si­tion de son corps évoque une man­dorle, cette forme d’amande dans la­quelle s’inscrivent sym­bo­li­que­ment les êtres sacrés. 

En pla­çant les pro­ta­go­nistes sur un es­ca­lier, le Gre­co per­met de bien les in­di­vi­dua­li­ser tout en sou­li­gnant la ver­ti­ca­li­té du for­mat qui conduit le re­gard vers la co­lombe im­ma­cu­lée, sym­bole de l’Esprit saint. 

La scène est ser­rée dans un es­pace clos et la com­po­si­tion baigne dans une lu­mière spec­trale qui ré­vèle des per­son­nages très ex­pres­sifs. Les formes et les vi­sages sont sim­pli­fiés, les touches mar­quées à longs coups de pin­ceau. Jouant à l’extrême de la dis­tor­sion des fi­gures et de l’espace, l’artiste bou­le­verse les conven­tions ar­tis­tiques de son époque. La pa­lette contras­tée et la touche très libre de la pein­ture sur des construc­tions ana­to­miques puis­santes dé­fi­nissent le style du Gre­co dans sa der­nière période. 

Qu’est-ce qu’un re­table ?
Un re­table est, à l’origine, un simple meuble de bois ou de pierre pla­cé der­rière l’autel, des­ti­né à re­ce­voir des ob­jets li­tur­giques. La di­men­sion dé­co­ra­tive liée à sa fonc­tion re­li­gieuse se dé­ve­loppe à par­tir du Moyen Âge. Son ico­no­gra­phie évoque la vie du Christ, de la Vierge et des Saints, mais c’est aux XVIIe et XVIIIe siècles que le re­table prend de l’importance et de­vient une vé­ri­table œuvre d’art com­po­sée de trois par­ties : la caisse, la pré­delle (sou­bas­se­ment de la caisse) et les vo­lets. Il est fré­quent qu’un re­table se com­pose de plu­sieurs vo­lets : deux pour un dip­tyque, trois pour un trip­tyque voire da­van­tage pour un polyptyque. 

En 1596, le Conseil royal de Cas­tille com­mande au Gre­co le re­table du maître-au­tel de l’église du col­lège ma­dri­lène des Au­gus­tins dé­dié à la Vierge de l’Incarnation. Ce sé­mi­naire est aus­si connu sous le nom de col­lège Doña María de Aragón qui en a par­rai­né la fondation.

L’artiste s’engage à li­vrer le re­table au plus tard à Noël 1599. Dé­lai qu’il dé­pas­se­ra de sept mois sans doute en rai­son d’autres com­mandes à ho­no­rer. L’atelier du Gre­co est à même de réa­li­ser la to­ta­li­té des élé­ments d’architecture, de sculp­tures et de pein­tures qui com­posent un re­table, ce qui n’est alors pas le cas de tous les ate­liers d’artistes. L’exécution d’un re­table né­ces­site en ef­fet la par­ti­ci­pa­tion de plu­sieurs corps de mé­tier (ébé­niste, do­reur, me­nui­sier, peintre et sculpteur).

Le Gre­co a si­gné les six toiles connues du re­table, contrai­re­ment à ce­lui de San­to Do­min­go el An­ti­guo ou sa si­gna­ture n’apparaît que sur l’œuvre cen­trale. Il est pos­sible que le contrat - aujourd’hui per­du - pour la com­mande de Ma­drid ait spé­ci­fié que toutes les pein­tures de­vaient être de la main de l’ar­tiste. Sa si­gna­ture sur cha­cune d’entre elles pour­rait ain­si être com­prise comme la ga­ran­tie de sa réelle participation.

En 1808, Jo­seph Bo­na­parte, alors roi d’Espagne, dé­crète la ré­duc­tion du nombre de cou­vents dans le cadre d’une ré­forme des ordres mo­nas­tiques. Le sé­mi­naire ferme et le bâ­ti­ment est ré­af­fec­té au Par­le­ment. Le re­table est dé­mon­té et, suite à plu­sieurs dé­mé­na­ge­ments (il a même été en­tre­po­sé, un temps, dans une cave à char­bon), les élé­ments d’architecture et les sculp­tures sont per­dues. Cinq pein­tures sont confiées au mu­sée du Pra­do, la sixième est ven­due plu­sieurs fois avant d’intégrer le Mu­sée na­tio­nal d’art de Rou­ma­nie à Bu­ca­rest, la sep­tième est perdue.

Ve­ni Sancte Spi­ri­tus
et emitte cae­li­tus
lu­cis tuae radium.

Ve­ni pa­ter pau­pe­rum,
ve­ni da­tor mu­ne­rum,
ve­ni lu­men cordium.

Conso­la­tor op­time,
dul­cis hospes ani­mae,
dulce re­fri­ge­rium.

In la­bore re­quies,
in aes­tu tem­pe­ries,
in fle­tu solacium.

O lux bea­tis­si­ma,
reple cor­dis in­ti­ma
tuo­rum fidelium.

Sine tuo nu­mine
ni­hil est in ho­mine,
ni­hil est innoxium.

La­va quod est sor­di­dum,
ri­ga quod est ari­dum,
sa­na quod est saucium.

Flecte quod est ri­gi­dum,
fove quod est fri­gi­dum,
rege quod est devium.

Da tuis fi­de­li­bus
in te confi­den­ti­bus
sa­crum septenarium.

Da vir­tu­tis me­ri­tum,
da sa­lu­tis exi­tum,
da per­enne gau­dium.
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Viens, Es­prit-Saint, en nos cœurs,
et en­voie du haut du ciel
un rayon de ta lumière.

Viens en nous, père des pauvres,
viens, dis­pen­sa­teur des dons,
viens, lu­mière de nos cœurs.

Conso­la­teur sou­ve­rain,
hôte très doux de nos âmes
adou­cis­sante fraîcheur.

Dans le la­beur, le re­pos,
dans la fièvre, la fraî­cheur,
dans les pleurs, le réconfort.

O lu­mière bien­heu­reuse,
viens rem­plir jus­qu’à l’in­time
le cœur de tous tes fidèles.

Sans ta puis­sance di­vine,
il n’est rien en au­cun homme,
rien qui ne soit altéré.

Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride,
gué­ris ce qui est blessé.

As­sou­plis ce qui est raide,
ré­chauffe ce qui est froid,
rends droit ce qui est faussé.

A tous ceux qui ont la foi
et qui en toi se confient
donne tes sept dons sacrés.

Donne mé­rite et ver­tu,
donne le sa­lut fi­nal,
donne la joie éternelle.