Georges de La Tour. La Ma­de­leine à la veilleuse

Fran­cis Pou­lenc (1899-1963), Tris­tis est ani­ma mea
Groupe Vo­cal de France, dir. John Alldis 

Georges de La Tour (1593-1615)
La Ma­de­leine à la veilleuse (~1640-1645)
Le Louvre-Lens

Forme
Les per­son­nages de Georges de la Tour, même les plus sa­crés, res­tent tou­jours à l’é­chelle hu­maine. Les vi­sages sont tous ex­pres­sifs, em­preints de no­blesse, même dans la souf­france ou l’­hu­mi­li­té. La gran­deur d’ex­pres­sion est plus « par­lante » que le sou­cis du dé­cor. Les corps ont l’ap­pa­rence ma­té­rielle d’ob­jets faits au tour : chairs pleines et so­lides comme de l’ar­gile, sans saillies bru­tales : une uni­té avec l’ex­pres­sion qui donne au ta­bleau une har­mo­nie émouvante.

Pour­tant, par­mi toutes ces par­ti­cu­la­ri­tés, les poses res­tent très équi­li­brées, très tra­di­tion­nelles. Que ce soit dans la Ma­de­leine à la veilleuse ou dans le Christ aux ou­trages, le mo­dèle est cam­pé, il oc­cupe la sur­face de la toile. Ain­si, l’ex­pres­sion clas­sique se main­tient à tra­vers les re­cherches par­ti­cu­lières de Georges de La Tour.

A re­mar­quer aus­si que dans au­cun de ses ta­bleaux Georges de La Tour n’emploie de fond. Quelques ac­ces­soires, rares même : un livre, une table, suf­fisent à si­tuer la scène. Le sol même est rare et n’est sol que lorsque les ac­teurs le foulent.

Cou­leurs
Dans toutes ses toiles, Georges de La Tour em­ploie en do­mi­nante le brun ou le roux. On pour­rait croire à une mo­no­to­nie fa­cile, mais en re­gar­dant les oeuvres, on constate que de très nom­breux bruns, ocres, beiges, des com­bi­nai­sons de roux, d’o­range chantent tous en­semble, en par­faite in­tel­li­gence. Pour­tant, au mi­lieu de cette har­mo­nie si bien conçue, cer­taines cou­leurs sont d’une vio­lence qui étonne parfois.

Mal­gré tout, ja­mais Georges de la Tour n’a em­ployé les cou­leurs âpres de cer­tains Ca­ra­vage, de ces cou­leurs qui ont l’air d’a­voir été po­sées telles qu’elles ont été broyées. La Tour cherche à créer l’u­ni­té com­plète entre l’ex­pres­sion, la forme et la couleur.

Dans ses toiles, La Tour fait tou­jours in­ter­ve­nir un ac­teur plus vi­vant qu’un hu­main : le jeu de l’ombre et de la lu­mière. Cette pré­sence fait vi­brer la toile comme les sur­sauts d’une chan­delle prête à s’é­teindre. En plus, elle per­met d’employer une nou­velle gamme de tons : les jaunes. Elle crée en­core un « mys­tère du fond », de ce qui ne se voit pas. Le clair-obs­cur donne à cer­tains per­son­nages l’ap­pa­rence de spectres. Tout en for­geant cette at­mo­sphère d’in­cer­ti­tude, elle forge celle du mi­racle ou du sur­na­tu­rel.
Reste à voir main­te­nant com­ment La Tour traite ces jeux d’ombre. 

Les flammes sont tou­jours hautes ; elles ont l’air d’être pal­pables et in­can­des­centes comme du mé­tal en fu­sion. Contrai­re­ment aux lois de la phy­sique, Georges de La Tour n’é­claire que ce qu’il veut éclai­rer. Ce pro­cé­dé donne une im­pres­sion d’in­ti­mi­té ou de mys­tère : le « su­jet » est lé­ché par la lueur, le fond est dans les té­nèbres ; té­nèbres opaques, lourdes : l’air est pal­pable, lui aus­si, car la nuit n’est ja­mais noire : elle est brune comme une fu­mée lourde.

In­té­rieur ou ex­té­rieur ? Les ac­teurs sont tel­le­ment à leur place que nous n’a­vons pas be­soin d’un pay­sage. Le fond n’est là que pour ar­rê­ter la com­po­si­tion. Est-il à quelques cen­ti­mètres ou à des mètres ? Nous l’ignorons.

L’é­clai­rage des ob­jets se fait par trois zones : clar­té in­tense, tran­si­tion entre les té­nèbres et la lu­mière, mar­quée comme une joute, puis nuit brune. Ce­la donne aux ob­jets illu­mi­nés cette forme géométrique.

Les contrastes ombre-lu­mière sont vio­lents, nets, cou­pants, ou doux, dif­fus. Ce­la dé­pend de la na­ture de la scène. L’a­do­ra­tion des ber­gers est trai­tée avec mé­na­ge­ment, alors que le Saint Jo­seph char­pen­tier est taillé à grands coups.

Com­po­si­tion
Les com­po­si­tions de La Tour offrent deux as­pects prin­ci­paux : une ex­pres­sion clas­sique, où les per­son­nages sont tra­di­tion­nel­le­ment cam­pés pour gar­der à la toile un équi­libre or­don­né, et une autre ex­pres­sion, nou­velle, par la­quelle La Tour cherche une nou­velle har­mo­nie plus dramatique.

L’a­do­ra­tion des ber­gers est l’exemple de la « com­po­si­tion clas­sique ». Par contre, le Saint Jo­seph char­pen­tier est, lui, de la nou­velle ex­pres­sion, plus contras­tée et moins dosée.

Pour­tant, Georges de La Tour cerne tou­jours le su­jet dans une sorte de roue, ayant pour moyeu la source de lu­mière. Cette roue tourne et vibre, comme on le voit net­te­ment dans le Charpentier. 

Quand aux per­son­nages mêmes, cer­tains sont trai­tés comme avec des écailles jouant les unes sur les autres, se te­nant les unes par les autres comme des tuiles (Ma­rie-Ado­ra­tion des bergers).

Conclu­sion
Les œuvres de La Tour sont toutes em­preintes de no­blesse et de gra­vi­té. Les per­son­nages sont pour la plu­part ti­rés du mi­lieu pay­san, mais, trai­tés avec gran­deur, ils perdent leur ca­rac­tère fruste pour un port ai­sé et digne.

Un autre cô­té des toiles de La Tour, c’est cette se­reine mé­lan­co­lie, sou­te­nue par une lu­mière dif­fuse et dou­ce­ment contras­tée, cette mé­lan­co­lie qui ne se plaint pas. Jusque dans le dé­nue­ment ou la souf­france, les per­son­nages sont calmes ; à la mort même, leur vi­sage est résigné. 

Pour­quoi se sent-on mis en confiance de­vant les toiles de La Tour ? Je crois que c’est parce que les per­son­nages sont tous à l’é­chelle hu­maine. Les saints sont des hommes qui ont les mêmes ac­ti­vi­tés que nous. C’est sans doute pour cette rai­son que les toiles de La Tour étaient po­pu­laires à cette époque : on se sen­tait de même es­sence que les saints. 

© Fon­da­tion Berger