Rem­brandt. Le re­tour du fils prodigue

Mau­rice Du­ru­flé (1902-1986), Ubi ca­ri­tas
En­semble vo­cal Au­dite No­va de Pa­ris, dir. Jean Sourisse 

Rem­brandt (1606-1669)
Le re­tour du fils pro­digue (1668)
Mu­sée de l’Ermitage, St. Pétersbourg

Lc 15, 1-3. 11-32
1 Les pu­bli­cains et les pé­cheurs ve­naient tous à Jé­sus pour l’é­cou­ter.
2 Les pha­ri­siens et les scribes ré­cri­mi­naient contre lui : « Cet homme fait bon ac­cueil aux pé­cheurs, et il mange avec eux !«
 3 Alors Jé­sus leur dit cette pa­ra­bole :
11 « Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père : Père, donne-moi la part de for­tune qui me re­vient. Et le père leur par­ta­gea ses biens.
13 Peu de jours après, le plus jeune ras­sem­bla tout ce qu’il avait, et par­tit pour un pays loin­tain où il di­la­pi­da sa for­tune en me­nant une vie de désordre.
14 Il avait tout dé­pen­sé, quand une grande fa­mine sur­vint dans ce pays, et il com­men­ça à se trou­ver dans le be­soin.
15 Il al­la s’en­ga­ger au­près d’un ha­bi­tant de ce pays, qui l’en­voya dans ses champs gar­der les porcs.
16 Il au­rait bien vou­lu se rem­plir le ventre avec les gousses que man­geaient les porcs, mais per­sonne ne lui don­nait rien.
17 Alors il ren­tra en lui-même et se dit : Com­bien d’ou­vriers de mon père ont du pain en abon­dance, et moi, ici, je meurs de faim !
18 Je me lè­ve­rai, j’i­rai vers mon père, et je lui di­rai : Père, j’ai pé­ché contre le ciel et en­vers toi.
19 Je ne suis plus digne d’être ap­pe­lé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ou­vriers.
20 Il se le­va et s’en al­la vers son père. Comme il était en­core loin, son père l’a­per­çut et fut sai­si de com­pas­sion ; il cou­rut se je­ter à son cou et le cou­vrit de bai­sers.
21 Le fils lui dit : Père, j’ai pé­ché contre le ciel et en­vers toi. Je ne suis plus digne d’être ap­pe­lé ton fils.
22 Mais le père dit à ses ser­vi­teurs : Vite, ap­por­tez le plus beau vê­te­ment pour l’­ha­biller, met­tez-lui une bague au doigt et des san­dales aux pieds,
23 al­lez cher­cher le veau gras, tuez-le, man­geons et fes­toyons,
24 car mon fils que voi­là était mort, et il est re­ve­nu à la vie ; il était per­du, et il est re­trou­vé. Et ils com­men­cèrent à fes­toyer.
25 Or le fils aî­né était aux champs. Quand il re­vint et fut près de la mai­son, il en­ten­dit la mu­sique et les danses.
26 Ap­pe­lant un des ser­vi­teurs, il s’in­for­ma de ce qui se pas­sait.
27 Ce­lui-ci ré­pon­dit : Ton frère est ar­ri­vé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a re­trou­vé ton frère en bonne san­té.
28 Alors le fils aî­né se mit en co­lère, et il re­fu­sait d’en­trer. Son père sor­tit le sup­plier.
29 Mais il ré­pli­qua à son père : Il y a tant d’an­nées que je suis à ton ser­vice sans avoir ja­mais trans­gres­sé tes ordres, et ja­mais tu ne m’as don­né un che­vreau pour fes­toyer avec mes amis.
30 Mais, quand ton fils que voi­là est re­ve­nu après avoir dé­vo­ré ton bien avec des pros­ti­tuées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !
31 Le père ré­pon­dit : Toi, mon en­fant, tu es tou­jours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Il fal­lait fes­toyer et se ré­jouir ; car ton frère que voi­là était mort, et il est re­ve­nu à la vie ; il était per­du, et il est re­trou­vé !«
 ___

Très connue, cette œuvre a sou­vent été re­pro­duite. Elle sert sou­vent de sup­port ca­té­ché­tique pour abor­der le sa­cre­ment de la ré­con­ci­lia­tion. Quel­que­fois, et même as­sez sou­vent, on n’en re­garde qu’une par­tie, se concen­trant sur le groupe ex­tra­or­di­naire du père et de son fils, ou­bliant les autres per­son­nages. Le père Paul Bau­di­quey qui a lon­gue­ment contem­plé et com­men­té ce ta­bleau écrit que, « pour lui, c’est le pre­mier por­trait gran­deur na­ture pour le­quel Dieu lui-même ait ja­mais pris la pose ». En ef­fet, c’est bien ce groupe du père et de son fils qui at­tire l’attention et la re­tient longuement.

Rem­brandt a une soixan­taine d’année quand il peint cette œuvre. C’est un homme usé par les faillites et les deuils. C’est un homme sans fard, sans masque. Sa pâte pic­tu­rale est à son image : brute, épaisse, creu­sée et re­creu­sée, sans cher­cher à la rendre lisse. Rem­brandt sait bien que la vie d’un homme n’est pas lisse, mais qu’elle a toutes les rai­sons d’être bu­ri­née au fil du temps. Cet homme qui pleure en­core son propre fils, Ti­tus, va mettre toute son in­té­rio­ri­té à peindre ce père pro­digue en miséricorde.

Un vi­sage ri­dé et presque aveugle, aux yeux usés d’avoir guet­té l’improbable re­tour. Une sta­ture ar­ron­die, presque ovale, forme de man­dorle d’un tym­pan ro­man, une sta­ture de porche royal pour pro­té­ger l’enfant revenu.

Le père dé­crit par la pa­ra­bole et peint ici par Rem­brandt n’est pas un père ri­gide, dra­pé dans sa droi­ture, en­fer­mé dans une jus­tice de purs. C’est un Père qui ne cesse de des­cendre vers nous, de se pen­cher vers nous, de guet­ter nos pauvres pas pour re­tour­ner vers lui, sur­veillant in­las­sa­ble­ment nos che­mins. Et lorsqu’il a la joie de nous voir re­tour­ner, ne fût-ce que d’un pas, vers lui, il n’a de cesse de nous ac­cueillir tout près de lui comme un Père de ten­dresse. On com­mente sou­vent cette œuvre en par­lant des deux mains du père : l’une se­rait plus mas­cu­line, l’autre plus féminine.

Peut-être n’est-ce qu’une opi­nion. Mais on ob­serve la même part de fé­mi­ni­té ou de ma­ter­ni­té du père dans l’attitude du fils qui vient se ni­cher contre le ventre pa­ter­nel, at­ti­tude conve­nant plus à une mère qu’à un père. Cet homme re­de­ve­nu en­fant vient s’appuyer contre les en­trailles ma­tri­cielles à qui il doit sa renaissance.

Re­gar­dons main­te­nant le fils : il est peint comme une sorte de condam­né, ses che­veux ra­sés comme un sor­ti de pri­son, sa tu­nique dé­chi­rée, un pied nu, l’autre à moi­tié (les pieds nus dans la pein­ture du XVIIème siècle si­gni­fiant sou­vent l’attitude d’adoration prê­tée aux anges), pros­ter­né. Le vide d’une san­dale nous per­met de contem­pler qu’il a été né­ces­saire à ce fils de par­ve­nir à cette pau­vre­té, de se sen­tir vide et vi­dé, pour trou­ver la force de vou­loir échap­per à ses em­pri­son­ne­ments et ain­si re­de­ve­nir as­sez pe­tit en­fant pour se blot­tir tout contre son père, la tête ni­chée tout contre son corps. En­fin dé­li­vré de ses fausses ri­chesses, celles de ses plai­sirs, il peut main­te­nant com­prendre la vraie ri­chesse du Père : celle de son amour sans condi­tion. Et le man­teau royal po­sé sur les épaules du Père peut main­te­nant en­ve­lop­per à nou­veau le fils.

D’autres per­son­nages ap­pa­raissent dans le ta­bleau. Simples spec­ta­teurs, leur pré­sence est moins in­tense. On a beau­coup écrit sur eux : qui sont-ils ? Que pensent-ils ? Une chose est sûre, c’est qu’ils s’étonnent, tous.

Ce­lui qui nous in­ter­pelle le plus est cet homme qui reste dra­pé dans sa droi­ture, sa ver­ti­ca­li­té, exac­te­ment à l’inverse du Père qui re­nonce à sa droi­ture pour s’abaisser vers son fils. Il semble pei­ner à goû­ter la mi­sé­ri­corde in­fi­nie qu’il contemple pour­tant. Sa sé­vé­ri­té pour­rait bien nous faire pen­ser à celle du fils re­ve­nu des champs. 

Mais qu’importe ? Quelle que soit son iden­ti­té, il nous in­vite à nous in­ter­ro­ger sur le re­gard que nous por­tons sur la mi­sé­ri­corde de Dieu, à quel point nous croyons à sa mi­sé­ri­corde et jusqu’à quel point elle nous émer­veille et nous réjouit. 

De fait, on rai­sonne par­fois comme le fils aî­né, cho­qués par un Dieu qui par­don­ne­rait aux pires pé­cheurs et sem­ble­rait moins ai­mer ses autres en­fants vi­vant le plus pos­sible dans la droi­ture. Mais re­fu­ser l’amour in­fi­ni du Père, re­fu­ser d’entrer dans cette at­ti­tude de mi­sé­ri­corde, c’est re­fu­ser le Père tout en­tier. Et ce che­min est en­core plus faux que le che­min du fils par­ti se trom­per de ri­chesses mais re­ve­nu à la source amou­reuse du père pro­digue en mi­sé­ri­corde.
Port Saint Nicolas 

Ubi ca­ri­tas et amor, Deus ibi est. 

Congre­ga­vit nos in unum Chris­ti amor.
Ex­sul­te­mus et in ip­so ju­cun­de­mur.
Ti­mea­mus et ame­mus Deum vi­vum.
Et ex corde di­li­ga­mus nos sincero. 

Ubi ca­ri­tas et amor, Deus ibi est.
Amen.
___

Là où sont la cha­ri­té et l’amour, Dieu est présent. 

L’amour du Christ nous a ras­sem­blés et nous sommes un.
Exul­tons et ré­jouis­sons-nous en lui.
Crai­gnons et ai­mons le Dieu vi­vant
et ai­mons-nous les uns les autres d’un cœur sincère.

Là où sont la cha­ri­té et l’amour, Dieu est pré­sent.
Amen.

Pau­lin d’A­qui­lée (~730-802)