Die­go Veláz­quez. Le Christ, Marthe et Marie

Pier­lui­gi da Pa­les­tri­na (~1525-1594), Je­su, Rex ad­mi­ra­bi­lis
The Mon­te­ver­di Choir, dir. John Eliot Gardiner

> Die­go Veláz­quez (1599-1660)
Le Christ dans la mai­son de Marthe et Ma­rie (1618)
Na­tio­nal Gal­le­ry, London 

Lc 10, 38-42
En ce temps-là,
38 Jé­sus en­tra dans un vil­lage.
Une femme nom­mée Marthe le re­çut.
39 Elle avait une sœur ap­pe­lée Ma­rie
qui, s’étant as­sise aux pieds du Sei­gneur, écou­tait sa pa­role.
40 Quant à Marthe, elle était ac­ca­pa­rée
par les mul­tiples oc­cu­pa­tions du ser­vice.
Elle in­ter­vint et dit :
«Sei­gneur, ce­la ne te fait rien
que ma sœur m’ait lais­sé faire seule le ser­vice ?
Dis-lui donc de m’aider.«
 41 Le Sei­gneur lui ré­pon­dit :
«Marthe, Marthe, tu te donnes du sou­ci
et tu t’agites pour bien des choses.
42 Une seule est né­ces­saire.
ne lui se­ra pas enlevée. »

Jé­sus est as­sis dans un grand et beau fau­teuil de style contem­po­rain, Ma­rie à ses pieds, à l’écouter, as­sise en tailleur, peut-être sur un ta­bou­ret très bas que dis­si­mule son vê­te­ment. La che­ve­lure de Ma­rie est très épaisse : Ve­las­quez ap­plique l’assimilation du per­son­nage à Ma­rie-Ma­de­leine. Der­rière celle-ci, une femme plus âgée es­quisse un geste.

Comme dans de nom­breuses œuvres fla­mandes, alors ré­centes, connues à Sé­ville au moins par la gra­vure, tout ce­ci se passe à l’arrière-plan et sur le cô­té. Le pre­mier plan pré­sente une na­ture morte sur plan de tra­vail, une jeune femme oc­cu­pée à broyer de l’ail dans un mor­tier, le tout in­di­qué de la main par une autre femme âgée qui se tient juste der­rière la plus jeune. 

Il est im­pos­sible de dire si la conver­sa­tion avec Jé­sus est re­flé­tée dans un mi­roir ou vue par l’intermédiaire d’une sorte de passe-plat. Cette in­cer­ti­tude est trou­blante, d’autant que l’ensemble de la scène est très simple et dé­pouillé. Le conte­nu de la na­ture morte a peu à voir avec les tables fla­mandes, qui dé­bordent de vic­tuailles, que ce soit dans ce su­jet ou dans d’autres. La com­po­si­tion est donc la même, mais sans doute pas tout à fait dans le même es­prit. De même, le per­son­nage rou­geaud cen­sé être Marthe, che­veux ra­me­nés en ar­rière par un ban­deau, est bien moins sou­riant que sur les toiles du Nord. Cer­tains com­men­ta­teurs la sup­posent même au bord des larmes ou en tout cas mar­quée d’un dé­pit douloureux. 

Cher­chant des lec­tures ac­tuelles au­to­ri­sées de cet épi­sode, je constate une ten­dance una­nime à in­sis­ter sur la com­plé­men­ta­ri­té des deux fi­gures. L’interprétation se nour­rit du sens hé­braïque des noms, du contexte im­mé­diat où s’insère la scène (halte à Bé­tha­nie pen­dant la mon­tée à Jé­ru­sa­lem), du rap­pro­che­ment avec l’Évangile se­lon Jean, mais sur­tout d’une lec­ture très lit­té­rale de ce qu’implique nor­ma­le­ment la ré­cep­tion im­promp­tue de l’hôte, sans doute très ac­com­pa­gné. Marthe est la maî­tresse de mai­son. Sa re­la­tion à Jé­sus est fon­dée sur une en­tière confiance. La ques­tion qu’elle lui pose, elle se la per­met parce qu’elle le connaît bien. Et Jé­sus sait qu’elle en­ten­dra en très bonne part la réponse.

Les pré­di­ca­teurs d’aujourd’hui en­tendent li­mi­ter au maxi­mum la part de na­ture conflic­tuelle que l’on pour­rait at­tri­buer à l’histoire, plai­dant pour une co­ha­bi­ta­tion ai­sée. Je suis en­tiè­re­ment convain­cu par cette fa­çon de voir les choses.

Il me plaît d’imaginer que c’est ce que dit à Marthe la vieille dame der­rière elle, qui porte un fi­chu sur la tête. C’est le plus étrange, dans ce ta­bleau, ces deux femmes toutes deux la tête cou­verte (ou bien est-ce la même ?) qui ne fi­gurent pas dans l’Évangile, et qui scindent la scène. Car c’est nor­ma­le­ment Marthe elle-même qu’on de­vrait voir ve­nir de­man­der au Sei­gneur de dire à Ma­rie de l’aider. On peut trou­ver que la dis­po­si­tion choi­sie par Ve­las­quez contri­bue à am­pli­fier le conflit entre les deux sœurs, mais aus­si bien qu’elle le désa­morce, sur­tout, donc, si la vieille dame est char­gée, comme j’aime à le croire, de conso­ler Marthe.
Pierre Jo­li­bert

Je­su, Rex ad­mi­ra­bi­lis
Et trium­pha­tor no­bi­lis
Dul­ce­do inef­fa­bi­lis
To­tus desiderabilis.

Mane no­bis­cum Do­mine
Et nos illus­tra lu­mine
Pul­sa men­tis ca­li­gine
Mun­dum reple dul­ce­dine.
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Jé­sus roi ad­mi­rable
et noble triom­pha­teur,
dou­ceur inef­fable,
en­tiè­re­ment désirable,

reste avec nous Sei­gneur.
Éclaire-nous de ta lu­mière.
L’obs­cu­ri­té de notre es­prit une fois chas­sée,
rem­plis le monde de douceur.