Aris­tote. Le meilleur juge est sou­vent l’utilisateur

Buste avec la tête d’A­ris­tote, IIe s.
Ga­le­rie des Of­fices, Florence 

Un choix cor­rect est l’af­faire de ceux qui savent ; par exemple choi­sir un géo­mètre est l’af­faire de ceux qui savent la géo­mé­trie, choi­sir un pi­lote, de ceux qui savent le pi­lo­tage. Car si cer­tains tra­vaux ou cer­tains arts sont quel­que­fois pra­ti­qués par des hommes étran­gers à ces pro­fes­sions, tou­jours est-il que c’est plu­tôt le fait de ceux qui savent. De sorte que, sui­vant cette ma­nière de rai­son­ner, ce ne se­rait pas la mul­ti­tude qu’il fau­drait rendre maî­tresse du choix et de la red­di­tion de comptes des ma­gis­trats. Mais peut-être aus­si que cette ob­jec­tion n’est pas très juste, à moins qu’on ne sup­pose une mul­ti­tude par trop abru­tie. Car cha­cun des in­di­vi­dus qui la com­posent se­ra sans doute moins bon juge que ceux qui savent ; mais, réunis tous en­semble, ils ju­ge­ront mieux, ou du moins aus­si bien. En­suite, il y a des choses dont ce­lui qui les fait n’est ni le seul ni le meilleur juge ; ce sont tous les ou­vrages que ceux mêmes qui ne pos­sèdent pas l’art peuvent connaître : pour une mai­son, ce n’est pas seule­ment à ce­lui qui l’a bâ­tie qu’il ap­par­tient de la connaître ; ce­lui qui s’en sert en ju­ge­ra aus­si et mieux ; et ce­lui-là, c’est ce­lui qui tient la mai­son. Le pi­lote, de même, ju­ge­ra mieux d’un gou­ver­nail que le char­pen­tier ; un fes­tin, c’est le convive qui en juge et non le cuisinier.

Aris­tote (384-322 av. J.-C.), Po­li­tique, III, 6, 9-10
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