Tho­mas Hobbes. Guerre et loi morale

James Pos­selw­hite (1798-1884)
Tho­mas Hobbes (1800)
d’a­près un por­trait de William Dob­son (1611-1646)

Tous les au­teurs de­meurent d’ac­cord en ce point, que la loi de na­ture est la même que la loi mo­rale. Voyons quelles sont les rai­sons qui prouvent cette vé­ri­té. Il faut donc sa­voir que ces termes de bien et de mal sont des noms im­po­sés aux choses, afin de té­moi­gner le dé­sir ou l’a­ver­sion de ceux qui leur donnent ce titre. Or les ap­pé­tits des hommes sont très di­vers, sui­vant que leurs tem­pé­ra­ments, leurs cou­tumes, et leurs opi­nions se ren­contrent di­vers ; comme il est tout ma­ni­feste aux choses qui tombent sous les sens, sous le goût, sous l’o­do­rat, ou l’at­tou­che­ment ; mais en­core plus en celles qui ap­par­tiennent aux ac­tions com­munes de la vie, en la­quelle ce que l’un loue et nomme bon, l’autre le blâme et le tient pour mau­vais ; voire, le même homme en di­vers temps ap­prouve le plus sou­vent, et condamne la même chose. Mais de cette dis­cor­dance il est né­ces­saire qu’il ar­rive des dis­sen­sions, des que­relles et des batteries.

Les hommes donc de­meurent en l’é­tat de guerre, tan­dis qu’ils me­surent di­ver­se­ment le bien et le mal, sui­vant la di­ver­si­té des ap­pé­tits qui do­mine en eux. Et il n’y en a au­cun qui ne re­con­naisse ai­sé­ment que cet état-là, dans le­quel il se voit, est mau­vais, et par consé­quent que la paix est une bonne chose. Ceux donc qui ne pou­vaient pas conve­nir tou­chant un bien pré­sent, conviennent en ce qui est d’un autre à ve­nir ; ce qui est un ef­fet de la ra­tio­ci­na­tion : car les choses pré­sentes tombent sous les sens, mais les choses fu­tures ne se conçoivent que par le rai­son­ne­ment. De sorte que la rai­son nous dic­tant que la paix est une chose dé­si­rable, il s’en­suit que tous les moyens qui y conduisent ont la même qua­li­té, et qu’ain­si la mo­des­tie, l’é­qui­té, la fi­dé­li­té, l’­hu­ma­ni­té, la clé­mence (que nous avons dé­mon­trées né­ces­saires à la paix) sont des ver­tus et des ha­bi­tudes qui com­posent les bonnes mœurs. Je conclus donc que la loi de na­ture com­mande les bonnes mœurs et la ver­tu, en ce qu’elle or­donne d’embrasser les moyens de la paix, et qu’à juste titre elle doit être nom­mée loi morale.

Tho­mas Hobbes (1588 - 1679), Le ci­toyen, IV, XXXI
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