Em­ma­nuel Kant. Les hommes fuient la liberté

École d’An­ton Graff (1736-1813)
Por­trait d’Em­ma­nuel Kant (~1790)
Mu­seum Stadt Kö­nig­sberg, Duisburg 

Les Lu­mières se dé­fi­nissent comme la sor­tie de l’­homme hors de l’é­tat de mi­no­ri­té, où il se main­tient par sa propre faute. La mi­no­ri­té est l’in­ca­pa­ci­té de se ser­vir de son en­ten­de­ment sans être di­ri­gé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle ré­sulte non pas d’un manque d’en­ten­de­ment, mais d’un manque de ré­so­lu­tion et de cou­rage pour s’en ser­vir sans être di­ri­gé par un autre. Sa­pere aude ! « Aie le cou­rage de te ser­vir de ton propre en­ten­de­ment !» Voi­là la de­vise des Lumières.

La pa­resse et la lâ­che­té sont les causes qui ex­pliquent qu’un si grand nombre d’­hommes, alors que la na­ture les a af­fran­chis de­puis long­temps de toute di­rec­tion étran­gère, res­tent ce­pen­dant vo­lon­tiers, leur vie du­rant, mi­neurs ; et qu’il soit si fa­cile à d’autres de se po­ser comme leurs tu­teurs. Il est si com­mode d’être mi­neur. Si j’ai un livre qui me tient lieu d’en­ten­de­ment, un di­rec­teur qui me tient lieu de conscience, un mé­de­cin qui juge de mon ré­gime à ma place, etc., je n’ai pas be­soin de me fa­ti­guer moi-même. Je ne suis pas obli­gé de pen­ser, pour­vu que je puisse payer ; d’autres se char­ge­ront pour moi de cette be­sogne fas­ti­dieuse. Que la plu­part des hommes fi­nissent par consi­dé­rer le pas qui conduit à la ma­jo­ri­té, et qui est en soi pé­nible, éga­le­ment comme très dan­ge­reux, c’est ce à quoi ne manquent pas de s’employer ces tu­teurs qui, par bon­té, ont as­su­mé la tâche de veiller sur eux. Après avoir ren­du tout d’a­bord stu­pide leur bé­tail do­mes­tique, et soi­gneu­se­ment pris garde que ces pai­sibles créa­tures ne puissent oser faire le moindre pas hors du parc où ils sont en­fer­més, ils leur montrent en­suite le dan­ger qu’il y au­rait de mar­cher tout seul. Or ce dan­ger n’est sans doute pas si grand que ce­la, étant don­né que quelques chutes fi­ni­raient bien par leur ap­prendre à marcher.

Em­ma­nuel Kant (1724-1804), Qu’est-ce que les Lu­mières ?
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