Em­ma­nuel Kant. Ré­pu­blique et démocratie

Got­tlieb Doe­bler
Por­trait d’Em­ma­nuel Kant (1791)
Mu­seum Stadt Kö­nig­sberg, Duisburg 

Pour évi­ter de confondre la consti­tu­tion ré­pu­bli­caine avec la consti­tu­tion dé­mo­cra­tique, comme on le fait com­mu­né­ment, il faut faire les re­marques suivantes.

Les formes d’un État (ci­vi­tas) peuvent être di­vi­sées soit d’a­près la dis­tinc­tion entre les per­sonnes qui dé­tiennent la sou­ve­rai­ne­té, soit d’a­près la ma­nière dont un peuple est gou­ver­né par son sou­ve­rain, quel qu’il soit. La pre­mière s’ap­pelle pro­pre­ment forme de do­mi­na­tion (for­ma im­pe­rii), et il ne peut y en avoir que trois : ou bien le pou­voir est dé­te­nu par un seul, ou bien par quelques-uns qui se sont al­liés entre eux, ou bien par tous ceux qui forment la so­cié­té ci­vile (au­to­cra­tie, aris­to­cra­tie ou dé­mo­cra­tie, pou­voir du prince, pou­voir de la de la no­blesse, pou­voir du peuple). La se­conde est la forme du gou­ver­ne­ment (for­ma re­gi­mi­nis). Elle se rap­porte à la ma­nière […] dont l’État use de son pou­voir ab­so­lu. A cet égard, elle est ou bien ré­pu­bli­caine, ou bien des­po­tique. Le ré­pu­bli­ca­nisme est le prin­cipe po­li­tique qui ad­met la sé­pa­ra­tion du pou­voir exé­cu­tif (gou­ver­ne­ment) et du pou­voir lé­gis­la­tif ; le des­po­tisme exé­cute de sa propre au­to­ri­té les lois qu’il a édic­tées lui-même […].

Par­mi ces trois formes d’État, la forme dé­mo­cra­tique, au sens propre du mot, est né­ces­sai­re­ment des­po­tique […]. Et, bien que les deux autres consti­tu­tions po­li­tiques soient tou­jours dé­fec­tueuses en ce­ci qu’elles per­mettent un pa­reil mode de gou­ver­ne­ment, il leur est ce­pen­dant pos­sible d’ad­mettre un mode de gou­ver­ne­ment conforme à l’es­prit d’un sys­tème re­pré­sen­ta­tif [ie ré­pu­bli­cain]; c’est ain­si que Fré­dé­ric II di­sait du moins qu’il n’é­tait que le ser­vi­teur le plus haut pla­cé de l’État ; mais c’est chose au contraire im­pos­sible dans un ré­gime dé­mo­cra­tique parce que cha­cun veut y être le maître.

Em­ma­nuel Kant (1724-1804), Pro­jet de paix per­pé­tuelle, Deuxième sec­tion, Ier ar­ticle dé­fi­ni­tif
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