Blaise Pas­cal. Va­ni­té de l’exis­tence sans Dieu

Fran­çois II Ques­nel (1637-1699)
Blaise Pas­cal, dé­tail (1662), Col­lec­tion privée 


Voi­ci quel est le dis­cours de l’athée : « Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une igno­rance ter­rible de toutes choses ; je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette par­tie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait ré­flexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces ef­froyables es­paces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve at­ta­ché à un coin de cette vaste éten­due, sans que je sache pour­quoi je suis plu­tôt pla­cé en ce lieu qu’en un autre, ni pour­quoi ce peu de temps qui m’est don­né à vivre m’est as­si­gné à ce point plu­tôt qu’à un autre de toute l’éternité qui m’a pré­cé­dé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des in­fi­ni­tés de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un ins­tant sans re­tour. Tout ce que je connais est que je dois bien­tôt mou­rir, mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne sau­rais évi­ter. Comme je ne sais d’où je viens, aus­si je ne sais où je vais ; et je sais seule­ment qu’en sor­tant de ce monde je tombe pour ja­mais ou dans le néant, ou dans les mains d’un Dieu ir­ri­té, sans sa­voir à la­quelle de ces deux condi­tions je dois être éter­nel­le­ment en par­tage. Voi­là mon état, plein de fai­blesse et d’incertitude. Et de tout ce­la, je conclus que je dois donc pas­ser tous les jours de ma vie sans son­ger à cher­cher ce qui doit m’arriver. » […]

Qui sou­hai­te­rait d’avoir pour ami un homme qui dis­court de cette ma­nière ? qui le choi­si­rait entre les autres pour lui com­mu­ni­quer ses af­faires ? qui au­rait re­cours à lui dans ses af­flic­tions ? Et en­fin à quel usage de la vie on le pour­rait destiner ?

Blaise Pas­cal (1623-1662), Pen­sées, La­fu­ma 427
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