Saint Au­gus­tin. Nous ver­rons Dieu tel qu’il est

Saint Au­gus­tin
Vic­to­ria, Malte 


Que se­rons-nous lorsque nous ver­rons Dieu ? Quelle pro­messe nous a été faite ? Nous lui se­rons sem­blables parce que nous le ver­rons tel qu’il est. La langue s’est ex­pri­mée comme elle a pu ; le reste, c’est au cœur de le com­prendre. Alors que saint Jean lui-même s’ex­prime comme il peut par rap­port à Ce­lui qui est, que pour­rions-nous dire, nous qui sommes si loin d’é­ga­ler ses mérites ?

Re­ve­nons donc à cette onc­tion du Christ, re­ve­nons à cette onc­tion qui nous en­seigne in­té­rieu­re­ment ce que nous ne pou­vons pas ex­pri­mer ; et puisque main­te­nant vous ne pou­vez pas voir, que votre ac­ti­vi­té soit de dé­si­rer. Toute la vie du vrai chré­tien est un saint dé­sir. Sans doute tu ne vois pas en­core ce que tu dé­sires, mais en le dé­si­rant tu de­viens ca­pable d’être com­blé lorsque vien­dra ce que tu dois voir.

Sup­po­sons que tu veuilles rem­plir un sac quel­conque et que tu saches que ce qu’on va te don­ner est de grande di­men­sion, tu élar­gis ce sac, que ce soit un sac, une outre, ou n’im­porte quoi de ce genre. Tu connais la gran­deur de ce que tu vas y mettre, et tu vois que ton sac est bien trop étroit ; en l’é­lar­gis­sant, tu aug­mentes sa ca­pa­ci­té. C’est ain­si que Dieu, en fai­sant at­tendre, élar­git le dé­sir ; en fai­sant dé­si­rer, il élar­git l’âme, en l’é­lar­gis­sant, il la rend ca­pable de le recevoir.

Dé­si­rons donc, frères, car nous al­lons être com­blés. Voyez Paul qui élar­git son sac pour être ca­pable de re­ce­voir ce qui doit ve­nir. Il dit en ef­fet : « Ce n’est pas que je l’aie dé­jà sai­si ou que je sois ar­ri­vé à la per­fec­tion. Frères, je ne pense pas avoir dé­jà sai­si le Christ. » Que fais-tu alors en cette vie, si tu ne l’as pas en­core sai­si ? « Une seule chose : Ou­bliant ce qui est en ar­rière, ten­du vers l’a­vant, je pour­suis mon élan vers le prix qui m’est des­ti­né là-haut. » Il dit qu’il est ten­du et qu’il pour­suit son élan. Il se sen­tait trop pe­tit pour sai­sir « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’o­reille n’a pas en­ten­du, ce que le cœur de l’­homme n’a pu concevoir ».

Voi­là notre vie : nous exer­cer en dé­si­rant. Un saint dé­sir nous tra­vaille d’au­tant plus que nous avons dé­ta­ché nos dé­si­rs de l’a­mour du monde. Nous vous l’a­vons dé­jà dit à l’oc­ca­sion : vide ce qui doit être rem­pli. Tu dois être rem­pli par le bien, re­jette le mal. Sup­pose que Dieu veuille te rem­plir de miel : si tu es rem­pli de vi­naigre, où met­tras-tu ce miel ? Il te faut je­ter le conte­nu du vase ; il te faut net­toyer le vase lui-même ; il faut le net­toyer même si tu dois pei­ner, frot­ter, pour le rendre ca­pable de re­ce­voir autre chose. Nous par­lons mal en par­lant de miel, d’or ou de vin : nous par­lons de quel­qu’un d’in­di­cible ; ce dont nous par­lons, on l’ap­pelle Dieu. Et quand nous di­sons « Dieu », que di­sons-nous ? Dans ce mot se trouve tout ce que nous at­ten­dons. Tout ce que nous pou­vons en dire est en des­sous de la réa­li­té ; élar­gis­sons-nous dans sa di­rec­tion, afin qu’il nous rem­plisse, quand il vien­dra. « Nous se­rons sem­blables à lui, parce que nous le ver­rons tel qu’il est. »

Saint Au­gus­tin (354-430), Sur la pre­mière épître de Jean, IV, 6
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