
L’esclave se trouve sous la loi, mais l’enfant de Dieu est libre. Il est libre de parler au Père selon son cœur. Il peut se faire donner des conseils, se rattacher à l’expérience de priants plus libres. Mais en tout cela, il est lui-même libre. Il a l’Esprit de Dieu dans son cœur, et l’Esprit prie en lui. L’Esprit lui atteste l’amour du Père, dans le Fils : l’Esprit est lui-même l’amour de Dieu répandu en lui.
Cet Esprit est la liberté. Et dans le Chrétien, rien ne doit recouvrir, menacer, affaiblir cette conscience de la liberté chrétienne. La parole de Dieu devant laquelle il s’agenouille, est la parole de Dieu qui lui est adressée. Il est appelé et invité à monter, et la parole lui appartient, il peut l’entourer de ses deux bras et la presser contre lui ; il sent alors comme le cœur de Dieu y bat mystérieusement. Aucune règle étrangère, imposée par l’extérieur, ne viendra gêner son entretien avec son Bien-Aimé. Seulement il est souvent embarrassé, comme quelqu’un à qui le gros lot est échu d’une manière inespérée, et qui ne sait qu’en faire. Et c’est pourquoi il interroge les uns et les autres. Il questionne ceux qui sûrement ont mieux compris que lui. Il fait comme une fiancée qui, avant ses noces, écoute les femmes plus âgées ou sa propre mère. Mais bientôt après, elle se trouve seule, et alors elle pense moins aux bons conseils reçus qu’à ce que son propre cœur lui dit de l’amour du fiancé.
Les conseils que l’on peut donner à celui qui est sur la voie de la contemplation sont nombreux, et pourtant ils peuvent tenir dans une coquille de noix ! À les mieux regarder, ce ne sont, au fond, que les conseils que l’on donne à celui qui aime. Rien n’est aussi libre que l’amour ; et en dehors de l’amour, il n’y a pas de liberté. Celui qui commence à aimer fait l’expérience d’une éclosion et d’une sortie du cercle de son moi. Il doit seulement veiller, en devenant libre, à ne pas tomber dans un nouvel esclavage. Il peut, par exemple, dans l’amour, se rechercher inconsciemment lui-même de nouveau. Il peut rechercher son propre plaisir, le partenaire devenant alors un moyen en vue d’une fin, ou rechercher son propre avantage en s’appropriant les richesses spirituelles et matérielles du partenaire. Et cela dure jusqu’au jour où l’on remarque que l’amour s’est évanoui, parce qu’on s’est déjà recherché soi-même en cachette.
C’est ainsi que les signaux d’avertissement, simples et pourtant sans cesse méconnus, sont érigés sur les voies de l’amour. L’amour rend libre lorsqu’il est désintéressé ; et il l’est lorsqu’il est capable de renoncer même à la jouissance, aux avantages, à l’absence de liens. Et comme aucun amour terrestre n’est parfait dès l’origine, tout amour terrestre doit passer par cette purification. Il faut qu’arrivent les instants, les périodes où l’amour est mis à l’épreuve par le renoncement. Alors on distingue si l’enthousiasme de la première rencontre était du véritable amour. Alors le premier amour naïf, s’il était vraiment présent, est purifié et approfondi au feu du renoncement.
Hans Urs von Balthasar (1905-1988), Prière contemplative
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