
Il existe un consensus pour affirmer que la réponse finale de Marie à l’ange et par lui à Dieu : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole », était l’expression achevée de la foi d’Abraham et de tout Israël. D’Abraham déjà avait été exigée une obéissance de foi inouïe, puisque, sur le mont Moria, il lui avait été demandé justement de rendre à Dieu le fils de la promesse, ce don que Dieu lui avait fait en récompense de sa foi, dans un sacrifice spirituellement achevé, et interrompu seulement matériellement. En Marie, Dieu ira jusqu’au terme de cette foi, puisque, à la Croix au pied de laquelle elle se tient, aucun ange n’intervient comme sauveur, et qu’elle doit rendre à Dieu son fils, le fils de l’achèvement, dans une obscurité de foi, incompréhensible et impénétrable pour elle.
Mais dès la conception de Jésus est exigé un acte de foi qui dépasse infiniment celui d’Abraham, et, à plus forte raison, celui de Sara qui a ri par incrédulité. La Parole de Dieu qui veut prendre chair en Marie a besoin d’un « oui » pour la recevoir, un « oui » prononcé par toute la personne, esprit et corps, sans aucune restriction, même inconsciente, et qui offre toute la nature humaine, comme lieu de l’incarnation. Recevoir et laisser faire ne sont pas nécessairement une attitude passive : quand ils sont réalisés dans la foi, en face de Dieu, recevoir et laisser faire sont toujours une activité suprême. S’il y avait eu, ne serait-ce que l’ombre d’une réserve, dans le « oui » de Marie, un « jusque-là et pas plus loin », sa foi aurait été souillée d’une tache, et l’enfant n’aurait pas pu prendre possession de toute la nature humaine.
Ce « oui » marial, exempt de toute réserve, apparaît peut-être le plus clairement au moment où Marie accepte son mariage avec Joseph : elle abandonne à Dieu la conciliation de ce mariage avec sa nouvelle mission. « Il est impossible qu’un homme ait deux pères », disait déjà Tertullien, avec une concision pertinente. C’est pourquoi la mère de Jésus doit être vierge. Cette virginité motivée christologiquement a sa pointe significative non pas dans une intégrité seulement corporelle, hostile au sexe, mais dans la maternité de Marie. Pour pouvoir être la mère du Fils de Dieu messianique, qui ne peut avoir d’autre père que Dieu, Marie doit avoir été couverte de l’ombre du Saint-Esprit, et pour cela, prononcer un « oui » comprenant toute sa personne corporelle et spirituelle.
Un autre point encore est à noter dans la scène de l’Annonciation. Celle-ci n’est pas seulement tout entière une scène christologique, elle est en outre une scène trinitaire. Sa structure est très manifestement la première révélation de la Trinité divine. La première parole de l’ange, qui appelle Marie « celle qui a la faveur de Dieu », lui apporte le salut du Seigneur, de YHVH, du Père, qu’elle connaît en tant que juive croyante. Puis, Marie se demandant ce que peut signifier cette salutation, l’ange lui annonce dans une deuxième parole qu’elle enfantera le fils du Très Haut, qui sera en même temps le Messie pour la maison de Jacob. Et pour répondre à la question de ce qu’on attend d’elle, l’ange, dans une troisième déclaration, lui révèle que « le Saint-Esprit la couvrira de son ombre », si bien que son enfant sera appelé avec raison « Saint et Fils de Dieu ». Finalement Marie déclare accepter que tout se passe en elle, la servante, comme l’ange l’a dit. La Trinité de Dieu doit se manifester à l’incarnation du Fils non seulement dans une déclaration verbale, comme les lois de Dieu furent proclamées au Sinaï, mais en outre par un accomplissement existentiel dans l’homme dont la foi est parfaite et exemplaire.
C’est, au départ, la foi vétérotestamentaire d’Abraham. Dans son achèvement, cette foi devient participante de l’expérience trinitaire, qui doit ainsi nécessairement devenir le point de départ d’une expérience de foi, néo-testamentaire, ecclésiale, et cela dans l’existence de Marie elle-même. C’est pourquoi, parallèlement à la vie de Jésus, il y a aussi une vie de Marie, au cours de laquelle, à partir de l’intimité de la cellule de Nazareth, elle est initiée par son Fils au rôle qui lui sera départi au Calvaire : être l’archétype de l’Église.
Hans Urs von Balthasar (1905-1988), Marie, première Église
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