Hans Urs von Bal­tha­sar. Un oui sans réserve


Il existe un consen­sus pour af­fir­mer que la ré­ponse fi­nale de Ma­rie à l’ange et par lui à Dieu : « Je suis la ser­vante du Sei­gneur, qu’il me soit fait se­lon ta pa­role », était l’expression ache­vée de la foi d’Abraham et de tout Is­raël. D’Abraham dé­jà avait été exi­gée une obéis­sance de foi in­ouïe, puisque, sur le mont Mo­ria, il lui avait été de­man­dé jus­te­ment de rendre à Dieu le fils de la pro­messe, ce don que Dieu lui avait fait en ré­com­pense de sa foi, dans un sa­cri­fice spi­ri­tuel­le­ment ache­vé, et in­ter­rom­pu seule­ment ma­té­riel­le­ment. En Ma­rie, Dieu ira jusqu’au terme de cette foi, puisque, à la Croix au pied de la­quelle elle se tient, au­cun ange n’intervient comme sau­veur, et qu’elle doit rendre à Dieu son fils, le fils de l’achèvement, dans une obs­cu­ri­té de foi, in­com­pré­hen­sible et im­pé­né­trable pour elle.

Mais dès la concep­tion de Jé­sus est exi­gé un acte de foi qui dé­passe in­fi­ni­ment ce­lui d’Abraham, et, à plus forte rai­son, ce­lui de Sa­ra qui a ri par in­cré­du­li­té. La Pa­role de Dieu qui veut prendre chair en Ma­rie a be­soin d’un « oui » pour la re­ce­voir, un « oui » pro­non­cé par toute la per­sonne, es­prit et corps, sans au­cune res­tric­tion, même in­cons­ciente, et qui offre toute la na­ture hu­maine, comme lieu de l’incarnation. Re­ce­voir et lais­ser faire ne sont pas né­ces­sai­re­ment une at­ti­tude pas­sive : quand ils sont réa­li­sés dans la foi, en face de Dieu, re­ce­voir et lais­ser faire sont tou­jours une ac­ti­vi­té su­prême. S’il y avait eu, ne se­rait-ce que l’ombre d’une ré­serve, dans le « oui » de Ma­rie, un « jusque-là et pas plus loin », sa foi au­rait été souillée d’une tache, et l’enfant n’aurait pas pu prendre pos­ses­sion de toute la na­ture humaine.

Ce « oui » ma­rial, exempt de toute ré­serve, ap­pa­raît peut-être le plus clai­re­ment au mo­ment où Ma­rie ac­cepte son ma­riage avec Jo­seph : elle aban­donne à Dieu la conci­lia­tion de ce ma­riage avec sa nou­velle mis­sion. « Il est im­pos­sible qu’un homme ait deux pères », di­sait dé­jà Ter­tul­lien, avec une conci­sion per­ti­nente. C’est pour­quoi la mère de Jé­sus doit être vierge. Cette vir­gi­ni­té mo­ti­vée chris­to­lo­gi­que­ment a sa pointe si­gni­fi­ca­tive non pas dans une in­té­gri­té seule­ment cor­po­relle, hos­tile au sexe, mais dans la ma­ter­ni­té de Ma­rie. Pour pou­voir être la mère du Fils de Dieu mes­sia­nique, qui ne peut avoir d’autre père que Dieu, Ma­rie doit avoir été cou­verte de l’ombre du Saint-Es­prit, et pour ce­la, pro­non­cer un « oui » com­pre­nant toute sa per­sonne cor­po­relle et spirituelle.

Un autre point en­core est à no­ter dans la scène de l’Annonciation. Celle-ci n’est pas seule­ment tout en­tière une scène chris­to­lo­gique, elle est en outre une scène tri­ni­taire. Sa struc­ture est très ma­ni­fes­te­ment la pre­mière ré­vé­la­tion de la Tri­ni­té di­vine. La pre­mière pa­role de l’ange, qui ap­pelle Ma­rie « celle qui a la fa­veur de Dieu », lui ap­porte le sa­lut du Sei­gneur, de YHVH, du Père, qu’elle connaît en tant que juive croyante. Puis, Ma­rie se de­man­dant ce que peut si­gni­fier cette sa­lu­ta­tion, l’ange lui an­nonce dans une deuxième pa­role qu’elle en­fan­te­ra le fils du Très Haut, qui se­ra en même temps le Mes­sie pour la mai­son de Ja­cob. Et pour ré­pondre à la ques­tion de ce qu’on at­tend d’elle, l’ange, dans une troi­sième dé­cla­ra­tion, lui ré­vèle que « le Saint-Es­prit la cou­vri­ra de son ombre », si bien que son en­fant se­ra ap­pe­lé avec rai­son « Saint et Fils de Dieu ». Fi­na­le­ment Ma­rie dé­clare ac­cep­ter que tout se passe en elle, la ser­vante, comme l’ange l’a dit. La Tri­ni­té de Dieu doit se ma­ni­fes­ter à l’incarnation du Fils non seule­ment dans une dé­cla­ra­tion ver­bale, comme les lois de Dieu furent pro­cla­mées au Si­naï, mais en outre par un ac­com­plis­se­ment exis­ten­tiel dans l’homme dont la foi est par­faite et exemplaire.

C’est, au dé­part, la foi vé­té­ro­tes­ta­men­taire d’Abraham. Dans son achè­ve­ment, cette foi de­vient par­ti­ci­pante de l’expérience tri­ni­taire, qui doit ain­si né­ces­sai­re­ment de­ve­nir le point de dé­part d’une ex­pé­rience de foi, néo-tes­ta­men­taire, ec­clé­siale, et ce­la dans l’existence de Ma­rie elle-même. C’est pour­quoi, pa­ral­lè­le­ment à la vie de Jé­sus, il y a aus­si une vie de Ma­rie, au cours de la­quelle, à par­tir de l’intimité de la cel­lule de Na­za­reth, elle est ini­tiée par son Fils au rôle qui lui se­ra dé­par­ti au Cal­vaire : être l’archétype de l’Église.

Hans Urs von Bal­tha­sar (1905-1988), Ma­rie, pre­mière Église
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