Gré­goire de Na­ziance. Par­ler de la Trinité ?

Gré­goire de Na­ziance
Icône russe, XVIe s.

J’ai, pour ma part, lon­gue­ment ré­flé­chi en moi-même, en m’appliquant avec toute ma cu­rio­si­té, et en en­vi­sa­geant la ques­tion sous toutes ses faces, pour cher­cher une image du si grand mys­tère de la Tri­ni­té ; et je n’ai pu dé­cou­vrir à quelle réa­li­té d’ici-bas l’on peut com­pa­rer la na­ture di­vine. Ai-je trou­vé quelque res­sem­blance par­tielle ? Je sens qu’aussitôt la plus grande par­tie m’échappe, et l’exemple choi­si me laisse en des­sous de ce que j’en attendais.

Comme d’autres l’ont fait, je me suis re­pré­sen­té une source, un ruis­seau et un fleuve. Et j’ai cher­ché une ana­lo­gie entre le Père et la source, entre le Fils et le ruis­seau, entre l’Esprit Saint et le fleuve. Voi­ci, en ef­fet, des choses qui ne sont pas di­vi­sées par le temps, ni sé­pa­rées l’une de l’autre, puisqu’elles sont en re­la­tion de conti­nui­té ; et pour­tant elles semblent se dis­tin­guer en quelque sorte par leurs trois pro­prié­tés. Mais j’ai craint d’abord de pré­sen­ter par cet exemple je ne sais quel écou­le­ment de la di­vi­ni­té, qui en ex­clu­rait la sta­bi­li­té. J’ai craint aus­si qu’on ne se re­pré­sen­tât une per­sonne unique, car la source, le ruis­seau et le fleuve sont une seule et même chose qui re­vêt des formes diverses.

J’ai son­gé alors au so­leil, au rayon et à la lu­mière. Mais cette com­pa­rai­son n’est pas non plus sans dan­ger si l’on prend cet exemple du so­leil et de ses pro­prié­tés, on risque d’imaginer je ne sais quelle com­po­si­tion dans la na­ture simple. On peut être ten­té aus­si d’attribuer toute la sub­stance au Père, et de croire que les autres Per­sonnes n’en sont que des ac­ci­dents ; qu’ils sont des puis­sances qui existent en Dieu, mais qui ne sub­sistent pas par elles-mêmes. Car le rayon et la lu­mière ne sont pas d’autres so­leils, mais des éma­na­tions du so­leil. En­fin, cet exemple a le dé­faut de nous don­ner à pen­ser que Dieu peut exis­ter ou ne pas exis­ter, ce qui est en­core plus ab­surde que tout le reste.

En somme, je ne trouve au­cune image qui me donne pleine sa­tis­fac­tion pour illus­trer le concept de la Tri­ni­té ; il fau­drait que l’on ait as­sez de sa­gesse pour n’emprunter à l’exemple choi­si que cer­tains traits, et re­je­ter tout le reste. Aus­si ai-je fi­ni par me dire que le mieux était d’abandonner les images et les ombres qui sont trom­peuses et qui de­meurent très loin de la vé­ri­té. Je pré­fère m’attacher aux pen­sées les plus conformes à la pié­té, me conten­ter de peu de mots et prendre pour guide l’Esprit, de fa­çon à gar­der jusqu’à la fin la lu­mière re­çue de lui. Il est mon com­pa­gnon vé­ri­table, mon ami, et je tra­verse cette vie en per­sua­dant les autres, au­tant que je le puis, d’adorer le Père, le Fils et le Saint-Es­prit, une seule Di­vi­ni­té et une seule Puis­sance, à qui sont toute gloire, tout hon­neur, tout pou­voir, dans les siècles des siècles.

Gré­goire de Na­ziance (329-390), Ve Dis­cours théo­lo­gique 31-33. P.G. 36, col. 169-172
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