
Le milieu divin prend pour nous le parfum et les traits définis que nous désirions. Nous y reconnaissons une omniprésence qui agit sur nous en nous assimilant à soi, dans l’unité du Corps du Christ. Par suite de l’Incarnation, l’immensité divine s’est transformée pour nous en omniprésence de christification. Pour être monté aux cieux après être descendu jusqu’aux enfers, Jésus, vous avez tellement rempli l’univers en tous sens, qu’il nous est désormais bienheureusement impossible de sortir de Vous. « Où irais-je loin de ton esprit, où fuirais-je loin de ta face ?» J’en suis bien sûr maintenant : ni la vie, dont les progrès augmentent la prise que vous avez sur moi ; ni la mort qui me jette entre vos Mains ; ni les puissances spirituelles, bonnes ou mauvaises, qui sont vos instruments vivants ; ni les énergies de la Matière où vous êtes plongé ; ni les irréversibles flots de la durée, dont vous contrôlez, en dernier ressort, le rythme et l’écoulement ; ni les insondables profondeurs de l’espace, qui mesurent votre Grandeur, rien de tout cela ne pourra me séparer de votre amour substantiel, puisque tout cela n’est que le voile, les « espèces » sous lesquelles vous me prenez pour que je puisse vous prendre.
Ô Seigneur ! Encore une fois, quelle est la plus précieuse de ces deux béatitudes : que toutes choses me soient un contact avec vous ? Ou que vous me soyez si « universel » que je puisse vous subir et vous saisir en toute créature ?
Parfois, on s’imagine vous rendre plus attrayant à mes yeux, en exaltant d’une manière presque exclusive les attraits, les bontés de votre figure humaine d’autrefois. Vraiment, Seigneur, si je voulais seulement chérir un homme, ne me tournerais-je pas vers ceux que vous m’avez donnés dans la séduction de leur floraison présente ? Des mères, des frères, des amis, des sœurs, n’en avons-nous pas d’irrésistiblement aimables autour de nous ? Qu’irions-nous demander à la Judée d’il y a deux mille ans ? Non, ce que j’appelle, comme tout être, du cri de toute ma vie, et même de toute ma passion terrestre, c’est bien autre chose qu’un semblable à chérir : c’est un Dieu à adorer.
Oh ! Adorer, c’est-à-dire se perdre dans l’insondable, se plonger dans l’inépuisable, se pacifier dans l’incorruptible, s’absorber dans l’immensité définie, s’offrir au Feu et à la Transparence, s’anéantir consciemment et volontairement, à mesure qu’on prend davantage conscience de soi, se donner à fond à ce qui est sans fond ! Qui pourrions-nous adorer ? Plus l’homme deviendra homme, plus il sera en proie au besoin, à un besoin toujours plus explicite, plus raffiné, plus luxueux, d’adorer.
Ô Jésus, déchirez les nues de votre éclair ! Montrez-vous à nous comme le Fort, l’Étincelant, le Ressuscité ! Soyez pour nous le Pantocrator qui occupait, dans les vieilles basiliques, la pleine solitude des coupoles ! Pour que nous vainquions avec Vous le Monde, apparaissez-nous enveloppé de la Gloire du Monde.
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), Le Milieu Divin
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